« Violently happy » est une divagation musicale hypnotique où Björk décrit ce qu’elle ressent lorsque le sentiment amoureux est chez elle à son paroxysme: une excitation frénétique, électrique, si intense qu’elle en devient carrément douloureuse.
Côté excitation est bien sûr traduite par la musique vibrionnante, avec son beat rapide comme un coeur en pleine extrasystole, sa rythmique scandée au synthé, sa ligne de basse qui serpente sourdement.
Le titre de la chanson est tout aussi explicite, ainsi que quelques passages: « I’m driving my car / too fast / with ecstatic music on« ; « I’m daring people / to jump off roofs with me« . En temps normal, Björk semble déjà être une fille assez déjantée (si je devais la définir en trois mots, je dirais « la foldingue islandaise »), mais lorsqu’elle est amoureuse, elle a l’air de totalement perdre tout contrôle.
C’est pour le meilleur, affirme-t-elle (« Since I met you, / this small town / hasn’t got room for my big feelings / Violently happy / ’cause I love you« ). L’amour la met en transe.
Mais toute médaille a son revers, et il y a un côté beaucoup moins agréable à vivre ses émotions de façon aussi intense. L’amour passionnel que décrit Björk est un amour assoiffé, insatiable, et qui semble ne jamais pouvoir être rassasié. C’est aussi un amour où l’absence de l’autre génère une anxiété et une souffrance insupportables (« But you’re not here (…) I’ll get into trouble / real soon / if you don’t get here« ), à tel point qu’il faut se réfugier dans l’alcool pour ne plus les éprouver (« I’m getting too drunk« ). C’est un amour où seule la présence de l’autre peut apaiser quelque peu cette angoisse (« Come calm me down / before I get into trouble« ), parce qu’on n’a pas assez intégré en soi l’image rassurante de l’autre pour supporter son absence momentanée avec confiance et sérénité. Je n’aime pas la formule « dépendance affective », qui me paraît souvent utilisée à tort et à travers (y compris parfois pour désigner un attachement tout ce qu’il y a de plus normal et secure), mais c’est bien de cela dont nous parle Björk.
Le clip de Jean-Baptiste Mondino met parfaitement en images l’impression que me laisse « Violently happy »: on y voit Björk et quelques autres personnages enfermés dans une pièce capitonnée, qui gigotent dans tous les sens, se tapent la tête contre les murs, cassent l’ampoule, s’arrachent les cheveux, déchirent des nounours…
Si l’amour c’est cela, si le prix à payer pour aimer et être aimé c’est cette tension et ce drama permanents, alors non merci. Comme le dit elle-même Björk, « I’m aiming too high« . Je préfère infiniment un amour doux, tendre, paisible et serein, un amour dans lequel les bras de l’être aimé sont un refuge inviolable, un amour qui est comme une source à laquelle on peut s’abreuver pour reprendre des forces, surtout après une trop longue et cruelle séparation…
Peut-être qu’il faut avoir un peu de vécu pour penser ainsi, et pour être capable de goûter le plaisir sans égal (pour moi en tous cas) de la vie conjugale et quotidienne. Les burgers des enfants cuits ensemble à la poêle, en riant, parce que le four est en panne… Une soirée Star Wars collés l’un contre l’autre sur un canapé bleu… La main de l’un(e) posée sur l’avant-bras de l’autre pendant qu’il ou elle tourne une cuiller en bois dans une casserole de béchamel… What else?