The Jesus and Mary chain est un groupe formé en 1984 par deux frères, William et Jim Reid, qui sont nés et ont grandi à Glasgow, et qui ont décidé de se lancer dans la musique alors qu’ils étaient tous les deux au chômage depuis plusieurs années – la musique comme échappatoire à une vie remplie de galères, comme pour beaucoup de jeunes issus des catégories populaires dans l’Angleterre des années Thatcher.
Même si ce n’est pas du punk à proprement parler (le chanteur ne s’égosille pas, les mélodies sont en général lentes assez lentes…), l’esprit dans lequel The Jesus and Mary chain compose, joue de la musique et gère sa carrière, mais aussi la personnalité et le comportement de ses membres, y font quand même fortement penser.
Par exemple, les frères Reid sont farouchement attachés au fait d’aller à contre-courant, quitte à choquer ou à risquer l’insuccès. Au milieu des années 80, la scène musicale est dominée par l’électro-pop et la new wave, mais eux se disent complètement allergiques aux synthétiseurs.
Pour ce qui est des paroles, on est dans un m’en-foutisme totalement assumé: le vocabulaire est très pauvre, la plupart des mots ne comptent qu’une syllabe (par exemple you, me, girl, good, love, thing, drug…), et les chansons sont truffées d’onomatopées telles que « yeah ». Il faut dire que les sujets abordés ne brillent pas par leur originalité et reflètent uniquement ou presque les principales préoccupations des ados attardés qu’étaient les frères Reid: les filles, la défonce, le sexe, avec en toile de fond un ennui insondable.
Quant à la technique musicale des membres du groupe, elle est elle aussi fort rudimentaire. Le bassiste jouait avec un instrument sur lequel n’étaient installées que trois cordes, puis seulement deux, et il a un jour expliqué son choix avec cette formule très punk dans l’âme: « Pourquoi je mettrais quatre cordes alors que je me sers que de deux? Ce serait dépenser de l’argent pour rien. » Pour sa part, le batteur Bobby Gillepsie est entré dans le groupe alors qu’il n’en avait jamais joué de sa vie, ce qui manifestement n’a pas posé de problème, et il a joué debout en se contentant de taper sur deux toms.
Et puis il y a les prestations scéniques de the Jesus and Mary chain, souvent navrantes et irrespectueuses pour le public: souvent ça se résumait à deux chansons pleines de distorsion et de larsen, parfois le groupe jouait dos au public, et il est même arrivé que le chanteur mette des coups de pieds dans son micro pour le balancer dans la tronche des personnes installées au premier rang. À mon avis tout ça relève plutôt de l’agression sonore que de la musique, en tous cas je ne suis pas assez masochiste pour m’infliger ce genre d’épreuve.
Quand on ajoute le fait que les frères Reid aimaient bien la baston, avaient l’habitude de détruire leurs instruments sur scène, ont eu moult problèmes de drogue et avaient un penchant pour la provocation gratuite (ils ont par exemple intitulé un morceau « Jesus sucks »), on se dit que the Jesus and Mary chain est un groupe très inspiré par l’esprit punk et son goût pour le « rien à foutre ».
Sorti en 1985 après quelques mois de concerts qui ont alimenté une véritable hype dans le monde du rock indé, le premier album du groupe, « Psychocandy » a tout de suite été reçu avec enthousiasme par la critique musicale. On y trouve un mélange des deux grandes influences musicales des frères Reid, à savoir le son brut et distordu des guitares du Velvet Underground ou des Stooges et les mélodies sucrées de la pop des années 60, notamment celle des Beach boys ou des Ronettes. « Psychocandy » est aujourd’hui considéré comme précurseur de la noisy pop qui explosera au début des années 90 avec des groupes anglais tels que My bloody Valentine ou Ride.
À vrai dire je n’aime pas trop écouter cet album, car sur la durée ça m’assourdit un peu les tympans (comme dit quelqu’un qui se reconnaîtra, « not my cup of tea »). Si vous n’aimez pas les guitares saturées et les murs de bruit, les sons crus, sales et agressifs, je ne vous conseille pas forcément de tenter l’expérience. Il y en a pour penser que la musique de The Jesus and Mary chain est parfaite pour illustrer un film d’horreur, et ça en dit assez long, je crois.
Mais il y a sur ce disque un petit bijou, la chanson d’ouverture intitulée « Just like honey ». Là aussi ce n’est pas spécialement recherché: un thème très banal (un amour obsessionnel), des paroles simplissimes et sulfureuses (« I’ll be your plastic toy / for you« ), un rythme et une nappe de sons on ne peut plus basiques, une voix lointaine et un peu caverneuse… A priori il n’y a rien là dedans qui devrait attirer mon attention, et pourtant ça marche: cette chanson a quelque chose d’obsédant et de légèrement hypnotique.
Sofia Coppola ne s’y est pas trompée, puisqu’elle a choisi d’utiliser « Just like honey » dans son superbe film « Lost in translation », lui aussi assez sombre et désabusé. Dans la scène finale, Bill Murray murmure à l’oreille de Scarlett Johansson quelques mots dont on n’aura jamais le secret, et après un baiser furtif ils s’éloignent l’un de l’autre, sans qu’on sache s’ils se reverront un jour, pendant que nous entendons cette chanson qui déborde sur le générique…