Cet après-midi j’ai partagé une punchline qu’un de mes neveux a un jour jetée à mon père: « Tu vois papi, dans l’histoire, y’a eu d’abord l’époque des dinosaures, ensuite y’a eu la tienne… et maintenant y’a la mienne » .
Cette formule m’amuse beaucoup, mais elle m’a aussi pas mal réfléchir sur l’espèce d’arrogance qu’il faut sans doute aux jeunes générations pour prendre leur place, en tous cas pour essayer de s’en aménager une si celles et ceux qui l’occupent s’y accrochent comme des moules à leur rocher.
Ces dernières années, je suis de plus en plus touché et même admiratif quand je vois des jeunes gens, surtout si ce sont des jeunes femmes, et plus encore si ce sont mes enfants, explorer leur propre voie et se lancer dans des projets ambitieux – et surtout dans leurs projets, basés sur leurs envies.
Allez-y les jeunes, prétendez, avec respect, avec humilité, mais sans timidité excessive non plus.
Bousculer et revendiquer, c’est ce que fait ici, avec détermination et brio, ce groupe venu de Brooklin. Contrairement à la rumeur, MGMT n’est pas l’acronyme de « Make Great Music Today » , mais le groupe en propose bel et bien une excellente, très influencée par le rock psychédélique et la synthpop, enthousiaste et entraînante.
Issue de « Oracular spectacular » , le premier album de MGMT (2007), « Time to pretend » affirme un désir farouche d’aller droit au but et de rechercher le succès (« Let’s make some music, let’s make some money » ), de vivre de façon libre et sauvage (« I’m feelin’ rough, I’m feeling raw » ), quitte à ce que ça ne dure peut-être pas très longtemps (« This is our decision to live fast and die young » ). Oui, bien sûr, c’est provocateur, c’est cynique, et ce n’est pas très responsable… Mais la société qui voudrait formater ses jeunes pour en faire de bons petits producteurs et consommateurs, vaut-elle mieux? En tous cas elle n’inspire aux membres de MGMT que de la fatigue ou du mépris: « Yeah, it’s overwhelming, but what else can we do? / Get jobs in offices and wake up for the morning commute? » ).
Et de toutes façons c’est plus fort qu’eux: la jeunesse pressée que chante MGMT sait que plein de choses de sa vie confortable vont lui manquer (ses parents, ses frères et sœurs, son chien, sa chambre, et même l’ennui de ses années d’adolescence), mais il n’y a rien à faire d’autre pour elle que de vivre vite et fort.
Musicalement, le morceau se déploie de façon inflexible, écartant tout sur son passage tel un bulldozer monstrueux, soutenu par une basse qui vibre tant qu’on pourrait croire qu’il y a un faux-contact dans les enceintes, parsemé de nombreux arrangements qui scintillent et tournoient avec entrain, et traversé tout du long par un petit gimmick de synthé reconnaissable entre mille et sur lequel le morceau se conclut brutalement.
À chaque fin de couplet, la montée en puissance est impressionnante, comme si le groupe voulait s’arracher à la pesanteur. Tout cela donne furieusement la patate, ainsi que l’impression qu’il ne s’agit pas vraiment d’une chanson, mais plutôt d’une revendication lancée le poing levé, la tête haute et le regard fier. Ça me donne aussi, je dois bien l’avouer, le regret de ne pas avoir, moi aussi, rué dans les brancards pour m’imposer tel que j’étais, au lieu de faire du ski nautique derrière le hors-bord que mon père conduisait pour m’emmener là où il pensait que je devais aller.
Fiers, ambitieux et audacieux, c’est ainsi que j’aime voir mes enfants, c’est ainsi que j’ai envie qu’ils soient, et tant pis pour moi si ça me bouscule (ou non, c’est tant mieux pour moi, en fait!). Outre la pêche d’enfer qui se dégage de sa musique, c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles j’aime tant cet hymne générationnel tonitruant qu’est « Time to pretend » .
« Life can always start up anew »