Dead can dance – « Fortune presents gifts not according to the Book »

Ce groupe au nom étrange est la preuve que la formule « LA musique des années 80 » n’a vraiment guère de sens.

Au début de cette décennie, U2 déployait une new wave flamboyante et revendicative, The Cure inventait une cold wave sombre et glaciale, Michael Jackson s’installait sur le trône du king of pop, The Police expérimentait un mélange de rock et de reggae, la variété internationale se spécialisait dans les synthés cheap et les boîtes à rythmes saccadées…

Au même moment, ce groupe au nom curieux, formé essentiellement de deux chanteurs (le baryton britannique Brendan Perry et la contralto australienne Lisa Gerrard), a créé un univers très singulier, avec un mélange de musique médiévale (aussi bien la liturgie chrétienne que les musiques populaires et païennes), de musique baroque, de musique classique, de littérature romantique (le deuxième album s’intitule « Spleen and ideal » ), et de ce qu’on appelait pas encore les « musiques du monde » (Afrique du nord, Amérique du sud, Asie…).

On a parfois classé ce groupe dans un genre gothique un peu morbide, mais il essaye au contraire de célébrer la vie, d’affirmer en musique que la mort ne l’empêche pas de continuer à danser. Parfois la tonalité mystique de Dead can dance me paraît un peu trop prononcée, mais le plus souvent, j’aime beaucoup.

C’est particulièrement le cas avec le morceau que je partage ce soir. Il est sorti en 1990 sur le cinquième album de Dead can dance (« Aion » ), dont la pochette est un détail de l’un de mes tableaux préférés (« Le jardin des délices » de Hyéronymus Bosch, que j’ai eu la chance de voir au musée du Prado à Madrid).

Ce disque est entièrement consacré à la musique du Moyen Âge, en tous cas inspiré par elle, avec comme instruments la viole, la basse de viole, la cornemuse, le clavecin, et une guitare qui sonne comme une théorbe ou un luth (à moins qu’elle en soit?)… Par exemple, la magnifique chanson « The song of the Sybil » contient des paroles en catalan du XVIème siècle, comme l’oeuvre qu’elle cite ouvertement (« El canto de la Sybil » – une oeuvre que j’aime aussi beaucoup dans sa version originale chantée par Montserrat Figueras, et que je chroniquerai bientôt).

Quoi qu’il en soit, l’écoute de l’album est un véritable voyage dans le temps, et on s’attend presque parfois à voir surgir au coin d’un fourré quelque barde, ménestrel et autre trouvère, demandant son chemin pour rejoindre la cour d’un seigneur local qui l’a mandé pour animer un banquet.

Sur cet album, ma chanson préférée est « Fortune presents gifts not according to the Book » , longue et étonnante, et à laquelle j’ai plusieurs fois pensé lorsque j’ai regardé la série « Game of thrones » , car elle pourrait y illustrer beaucoup de scènes.

À l’opposé des morceaux dépouillés qui caractérisent le reste de l’album, cette chanson est à la fois charmante et introspective avec ses arpèges de viole, puis vibrante et entraînante à partir de 1’25, lorsque tout l’orchestre se met en mouvement jusqu’à tournoyer avec entrain.

Avec son titre plein de séduction et qui est à lui seul tout un monde, « Fortune presents gifts not according to the Book » met en musique un poème médiéval, sur un thème qui est cher à Montaigne par exemple: le caractère imprévisible de la « fortune » (au sens de « hasard » ou de « providence » ). Ce que dit ce poème, c’est non seulement que la fortune est très inégale dans la distribution des possessions et des honneurs (« She gives awards to some and penitent’s cloaks to others » ), mais aussi et surtout qu’on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre, et qu’il faut donc accueillir ses cadeaux, quand on a la chance d’en recevoir, comme s’ils étaient offerts par une magicienne mystérieuse: avec gratitude, et sans trop poser de questions.

« When you expect whistles it’s flutes

When you expect flutes it’s whistles »

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