Jean-Sébastien Bach – « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » / Sonatine (transcription pour piano à quatre mains par György & Márta Kurtág)

Comme souvent s’agissant de la musique classique, cette œuvre splendide et éminemment émouvante, je l’ai découverte grâce à mon ami Elric, mélomane au goût sûr et sensible, et à qui je dois une très grande partie de ma culture dans ce genre musical.

Elric a coutume de dire, pour plaisanter (mais avec peut-être une pointe de sérieux quand même?), que la musique s’est arrêtée avec la mort de Bach. À supposer que ce soit vrai (ça me paraît quand même très légèrement excessif 😉), elle a un peu joué les prolongations, car bien des années plus tard, des compositeurs ont repris des partitions du maître de Leipzig pour qu’elles puissent être jouées dans des formations plus petites, en musique de chambre, ou sur un seul instrument.

L’un des plus merveilleux exemples de ces secondes vies est le choral du veilleur (« Wachet auf, ruft uns die Stimme » ), dont Bach lui-même avait composé une version pour orgue, et que Ferruccio Busoni a transcrit au piano deux siècles plus tard.

« Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » en est un autre exemple.

À l’origine, il s’agit d’une cantate funèbre très lente, composée vers 1707-1708 (c’était alors l’une des toutes premières musiques d’église de Bach), chantée par un choeur accompagné d’un orchestre de taille modeste, mais avec une introduction (« sonatine » ) jouée par un orchestre léger: une ligne d’orgue, deux flûtes à bec, deux violes de gambe, et un violon très discret.

Réalisée par le compositeur et pianiste hongrois György Kurtág, la transcription pour piano à quatre mains offre de cette œuvre une partition encore plus délicate. Le premier piano, qui occupe la partie basse de la tessiture, installe d’abord une atmosphère de gravité, à laquelle le deuxième piano vient bientôt apporter une éclaircie, comme une trouée vers le divin, dont le temps est ici chanté comme étant « le meilleur des temps » .

Dans la version que je partage ce soir, György Kurtág joue « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » accompagné de son épouse Márta. C’est l’une des choses qui m’a le plus marqué quand je l’ai écoutée pour la première fois, plutôt quand j’ai vu cette vidéo pour la première fois, et sans doute cela a-t-il joué dans le fait que j’ai été tout de suite très ému. Voir ce couple avancer lentement vers le piano et s’y installer tranquillement, puis y jouer en gardant les yeux rivés vers la partition, m’a immédiatement fait penser à la fameuse formule d’Antoine de Saint-Exupéry disant que l’amour c’est « regarder ensemble dans la même direction » .

C’est d’autant plus beau que lorsqu’ils ont enregistré cette version, György et Márta étaient déjà de vieilles personnes, qui avaient fait l’essentiel de leur vie l’un à côté de l’autre, et qui avaient sûrement vécu bien des joies et bien des drames, en plus de la banalité du quotidien.

Dans un monde idéal, j’aurais aimé n’avoir qu’une seule femme dans ma vie, et si ça s’était traduit par une aussi tendre complicité, qui plus est dans une activité que j’aime autant que la musique, je crois que j’aurais eu moi aussi mon « allerbeste Zeit » . Ce n’est pas arrivé, c’est ainsi: il reste donc à en inventer un autre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *