Fauve – « Blizzard »

Créé en 2010, Fauve est un collectif composé d’une vingtaine d’artistes parisiens qui s’expriment sur plusieurs supports créatifs (des musiciens, des comédiens, des plasticiens, des techniciens…), mais qui est connu principalement pour sa musique, notamment pour cette chanson, sortie en 2013, et qui est son premier EP.

Ce qui me frappe le plus dans Fauve, pour le peu que j’en connais, c’est son goût pour la culture underground et la mythologie de l’artiste maudit (le collectif s’est mis en pause en 2015 au moment même où il était rattrapé par le succès). Habituellement c’est quelque chose qui a tendance à m’agacer, mais sur cette chanson ça passe avec brio, grâce à une énergie farouche et assez sidérante.

Musicalement, le style de Fauve est fait d’un mélange de rock, de rap et de slam, avec des rythmes frénétiques qui sont redoublés par le spoken word très rapide, incisif et ardent. Les textes, souvent très crus, abordent toutes les dimensions possibles et imaginables du malaise post-adolescent: la déprime lancinante, les histoires d’amour qui foirent à peine commencées, la rage de se sentir incompris, la révolte, la passion pour le sexe, la fascination pour la mort, les fins de soirées glauques, et par dessus tout l’espoir (la vie est certes difficile et souvent douloureuse, mais c’est presque un péché que de la laisser se gâcher), le sentiment d’urgence, le désir insatiable de vivre des émotions fortes et de brûler la chandelle par les deux bouts.

C’est cette dernière dimension, cet hymne à vitalité et à la spontanéité, qui fait de « Blizzard » une chanson très impressionnante et, pour moi en tous cas, remuante.

« Blizzard » commence par un texte à la philosophie assez balourde (ce début est dispensable), puis elle s’élance une première fois sous la forme d’une adresse à une jeune personne qui semble avoir des idées suicidaires (« Oh oh oh qu’est-ce que tu fais? Arrête! / Qu’est-ce qu’il te prend de faire des trucs pareils? / Pourquoi tu te fais du mal comme ça? » ). Le morceau se déploie alors comme une tentative de ramener à la vie cette personne désespérée en martelant que le monde serait un astre vide sans elle (« Et puis comment l’univers il ferait sans toi? / Ça ne pourra jamais fonctionner. C’est impossible« ), et en assurant que « ça va aller je te le promets, ça va aller / Parce qu’on est de ceux qui guérissent, / de ceux qui résistent » .

Un peu après deux minutes, la musique ralentit et se calme un peu, avant de repartir de plus belle en évoquant « ces phrases qui nous donnaient de l’élan / Tu te souviens? Tu te souviens? » Et c’est alors que le morceau devient une cavalcade dingue, l’affirmation d’un désir de vivre ressenti comme invincible.

C’est d’abord la fureur qui s’exprime, les injures et même les menaces envers tout ce qui attire du côté obscur de la force (le blizzard, la honte, la tristesse, la mort), mais à quoi on a survécu, et que l’on peut maintenant narguer avec un majeur bien dressé:

« Tu nous entends le Blizzard? Tu nous entends?

Si tu nous entends, va te faire enculer

Tu pensais que tu allais nous avoir hein?

Tu croyais qu’on avait rien vu?

Surprise connard!

Tu nous entends la Honte? Tu nous entends?

Si tu nous entends fais gaffe quand tu rentres chez toi toute seule le soir

On pourrait avoir envie de te refaire la mâchoire avec des objets en métal

Ou de te laver la tête avec du plomb, qu’est-ce que t’en dis?

Tu nous entends la Tristesse? Tu nous entends?

Si tu nous entends, c’est que toi aussi, tu vas bientôt faire ton sac,

prendre la première à gauche, deuxième à droite, puis encore à gauche et aller niquer ta race

Félicitations! Bravo!

Tu nous entends la Mort? Tu nous entends?

Si tu nous entends sache que tu nous fais pas peur, tu peux tirer tout ce que tu veux,

on avance quand même, tu pourras pas nous arrêter,

et on laissera personne derrière, on laissera personne se faire aligner

Tout ça c’est fini! »

Une fois que le sac d’angoisse, de rage et de rancoeur est vidé, il est possible de se connecter à des parties de soi-même plus lumineuses, mais là encore cela se fait dans l’urgence:

« Tu nous entends la Dignité? Tu nous entends?

Si tu nous entends sache qu’on a un genou à Terre et qu’on est désolés,

on est désolés de tout ce qu’on a pu te faire, mais on va changer!

On va devenir des gens biens, tu verras!

Et un jour tu seras fière de nous.

Tu nous entends l’Amour? Tu nous entends?

Si tu nous entends, il faut que tu reviennes parce qu’on est prêts maintenant, ça y est

On a déconné c’est vrai mais depuis on a compris

Et là on a les paumes ouvertes avec notre cœur dedans

Il faut que tu le prennes et que tu l’emmènes. »

Je ne suis pas spécialement sensible à ce genre de musique, mais je dois dire que ce morceau me percute très fort, particulièrement dans la deuxième partie. Fauve s’y érige en étendard d’une jeunesse paumée, en perte de sens et de repères, angoissée par l’avenir, mais affamée d’expériences (« On voudrait: tout comprendre, tout savoir, tout voir, tout vivre / On cherche la porte du nouveau monde pour pouvoir s’y fondre en grand » ).

La chanson se conclut aussi, et c’est peut-être ce qui me touche le plus, par un appel à la solidarité entre les âmes errantes, pour qu’elles s’aident mutuellement à sortir du mal-être et à faire de leur vie un brasier. Ces âmes errantes, Fauve les prend par la main, leur passe un bras autour de l’épaule, mais il leur met aussi un bon coup de pied au cul et leur donne l’ordre d’avancer, parce que ça en vaut la peine, parce que « la vie est un casse du siècle » (quelle magnifique formule!).

Qu’aurait été ma vie si j’avais entendu cet appel à seize ans? Très probablement, il aurait glissé sur moi sans m’atteindre, car j’étais un jeune homme assez sage et inhibé. Mais peut-être qu’il m’aurait traversé comme une hache et qu’il m’aurait mis en alerte lorsque je commençais à gaspiller des heures précieuses – ce que j’ai fait trop souvent, hélas, beaucoup trop souvent…

« Tu nous entends toi qui attends? Tu nous entends?

Si tu nous entends souviens toi que t’es pas tout seul. Jamais

On est tellement nombreux à être un peu bancals un peu bizarres

Et dans nos têtes il y a un blizzard.

Comme les mystiques losers au grand cœur,

il faut qu’on sonne l’alarme, qu’on se retrouve, qu’on se rejoigne,

qu’on s’embrasse, qu’on soit des milliards de mains sur des milliards d’épaules,

qu’on se répète encore une fois que l’ennui est un crime

que la vie est un casse du siècle, un putain de piment rouge »

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