« I will follow » est la première chanson du premier album de U2 (« Boy », 1980). Elle possède à la fois la grandeur et le côté malhabile et imparfait des commencements: on sent que le groupe est ambitieux et plein de fougue et de ferveur, d’originalité aussi (par exemple dans l’usage du glockenspiel dans le refrain de cette chanson)… mais il se cherche encore. Les orchestrations de ce disque, qui évoluent entre le post-punk et la new-wave, sont assez brutes de décoffrage. Les textes, qui abordent les thèmes éternels de l’adolescence (le désir, l’incertitude, la colère…), restent un peu simples…
Mais j’aime beaucoup l’énergie indomptable qui émane de « I will follow » , surtout dans la version en concert du fameux « Live under a blood red sky » . Quelle gnaque dans ce rythme frénétique et dans ce riff de guitare électrisant de The Edge, qui arrive de loin puis qui s’impose en pleine face et qui semble faire la course avec lui-même et avec une basse tout aussi inflexible! La chanson est déjà étourdissante en studio, mais dans cette prise, enregistrée en concert en Allemagne un soir d’orage et de pluies torrentielles et glaciales, lancée par un « Ladies and gentlemen, let me tell you: I will follow! » qui claque comme un défi, elle devient carrément épique, héroïque, incendiaire et idéale pour foutre le feu à un stade tout entier.
Aujourd’hui je me rends compte en écrivant cette chronique que si j’ai toujours été emballé par la musique de « I will follow » , je suis quand même passé à côté de certains de ses éléments les plus importants.
Par exemple je n’ai pas fait attention à deux vers très émouvants (« A boy tries hard to be a man / His mother takes him by his hand » ) par lesquels Bono rend hommage à sa mère Iris, décédée en décembre 1974 d’une hémorragie cérébrale, quelques jours seulement après le décès de son père. Bono n’avait alors que quatorze ans…
Le fait de tenir quelqu’un par la main est pour moi très important. Par exemple je me souviens très exactement du jour et du lieu où mon garçon m’a spontanément saisi la main pour la dernière fois, un soir de longue promenade sur les hauteurs de Chambéry (il était alors à peine plus jeune que Bono à la mort de sa mère). Je me souviens surtout de l’émotion qui m’a alors envahi, car je me suis tout de suite dit que c’était peut-être pour la dernière fois, et j’ai profité de cet instant fugace, en savourant pleinement ma chance d’être ainsi relié à lui, saisi par une émotion bouleversante de sentir qu’il était tendrement attaché à moi, que j’étais pour lui un repère et une source d’affection. Lorsque j’écoute « Les lignes téléphoniques » de Michel Jonasz, c’est à ce lieu et à ce moment précis de ma vie que je pense systématiquement lorsque j’entends « J’ai fait mon devoir de père, je crois » … et je fonds en larmes à chaque fois.
Quoi qu’il en soit, je crois que je ressens en lisant ces deux vers chantés par Bono le désarroi et le chagrin de ce jeune garçon (« Boy ») subitement orphelin, sa frayeur de devoir continuer dans la vie sans être guidé par la présence rassurante de ses parents…
Bono a confié un jour que le thème essentiel de « I will follow » est l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant: où il ira, elle le suivra (« If you walk away, walk away / I walk away, walk away / I will follow » ). Maintenant que j’ai percuté cette dimension de la chanson, elle me chavire encore plus. Mes enfants sont si importants dans ma vie, je ressens tellement fort ce sentiment d’amour inconditionnel, que moi aussi je pourrais tout lâcher et tout abandonner, absolument tout, mais vraiment tout, pour les rejoindre s’ils en avaient besoin.
Ce soir Dorian est avec moi, sur la route de vacances improvisées qu’il s’est octroyées en louant un fourgon avec un de ses potes. J’aime et j’admire la façon dont il évolue, sa façon nonchalante de prendre la vie, son étonnante facilité à nouer de nouvelles relations sociales, ses valeurs (il est très engagé comme bénévole dans des associations en faveur des migrants), la manière dont il choisit ses ami·es, sa façon attentive et chaleureuse de se conduire avec eux et avec les membres de sa famille, sa gentillesse et sa douceur désarmantes, ses goûts culturels, sa nouvelle passion pour la guitare, ses projets de vie… Il est un « Boy » encore plus merveilleux que le fils que je rêvais d’avoir avant sa naissance: lucky me.
Quoi que tu fasses mon garçon, je te suivrai, de près ou de loin.