Sophie Hunger, « Le vent nous portera »

Tout a été écrit sur Noir désir, sur son statut de « meilleur groupe français » auto-proclamé par ses fans, sur sa volonté farouche de proposer « un rock qui dégomme, sans fioriture, droit, intègre, implacable » (selon les mots du journaliste et écrivain Marc Besse), sur ses engagements politiques (« L’homme pressé » ), sur sa faculté d’exprimer en chanson des émotions brutes (par exemple dans « Tostaky » ), sur son refus de jouer le jeu de la promo à la télévision… et bien sûr sur sa désagrégation dès lorsque son chanteur Bertrand Cantat a sombré dans la barbarie.

Pour ma part je n’ai jamais été un grand fan, et j’ai d’ailleurs vraiment découvert Noir désir sur le tard, à l’occasion de mon mariage, durant lequel un ami m’avait fait découvrir « L’homme pressé » . J’avais alors emprunté quelques albums à la médiathèque, mais aucun ne m’a suffisamment plu pour que je l’achète. Je crois que dès ce moment-là, j’y ressentais trop de noirceur, trop de colère mal digérée, trop de violence potentielle.

Dans la discographie du groupe, deux chansons se dégagent pour moi: « Aux sombres héros de la mer » , que j’ai déjà partagée, et « Le vent nous portera ».

Mais pour ce deuxième titre, j’aime encore plus la reprise par la suissesse Sophie Hunger. Dans la version originale, Noir désir affichait une volonté d’aller vers un style moins rock, moins énervé, plus apaisé, en abordant des thèmes plus mélancoliques (ici il est question de deux personnages qui sont inséparables mais dont le coeur se serre à l’idée que leurs souvenirs s’envoleront à jamais). « Le vent nous portera » est une réflexion sur l’impuissance humaine face à la précarité des choses et des relations, face à la fatalité du temps qui passe et qui finit par tout emporter.

Dans la version de Sophie Hunger, dont l’univers musical est le folk, cette évolution est plus marquante encore. J’aime beaucoup ce rythme ralenti, cette musique ondoyante et chaloupée qui lorgne presque vers le trip hop au niveau de la rythmique, ces arrangements en clair-obscur avec des arpèges lumineux de guitare et des lignes de trompette plus sombres et mélancoliques…

J’aime encore plus cette manière de chanter qui peut sembler désinvolte, donner l’impression que ce qui est dit n’est pas important, alors qu’en réalité il s’agit de célébrer la beauté, la fragilité et la préciosité de la vie, de manière humble et douce.

Oui, tout disparaîtra, bien sûr. Mais en attendant de disparaître à leur tour, les vivants peuvent garder en eux ce qui reste de ceux qui se sont éloignés ou qui ont disparu. Et quand ils auront eux-mêmes disparu, les poussières qu’il restera d’eux seront disséminées un peu partout par le vent et pourront être observées, écoutées ou respirées par qui le voudra.

Cette chanson me donne envie de ne pas oublier de faire deux choses.

D’abord, veiller à prendre soin des poussières des personnes que j’ai aimées.

Ensuite, et surtout, donner assez d’amour et de tendresse pour que lorsque je ne serai plus là, d’autres vivants aient envie de faire vivre en eux quelques souvenirs de moi. J’espère qu’ils seront bons et qu’ils leur donneront un peu de joie.

« J’emmène au creux de mon ombre

des poussières de toi

Le vent les portera

Tout disparaîtra mais

le vent nous portera »

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