Ben Webster – « Tenderly »

Il y a quelques semaines, François Ruffin a invité à « gouverner avec tendresse » . Ça me paraît bien naïf d’y croire, car la politique est avant tout l’art de gérer des conflits et des rapports de force, sans états d’âme, et si besoin avec brutalité… Le stratège prussien Carl von Clausewitz a même défini la guerre comme « la continuation de la politique par d’autres moyens » : c’est cynique, mais assez difficilement contestable. Durant le week-end que je viens de passer à Melle, en manifestation autour de Poitiers et à La Rochelle, j’ai d’ailleurs eu l’occasion de voir de près ce que c’est que l’État policier en action: les lacrymos et les charges de CRS, c’est moyennement tendre.

C’est justement parce que le monde est ce qu’il est, une arène violente où s’affrontent les individus, les groupes sociaux, les peuples et les États, sans beaucoup d’égards pour les perdants, que nous avons tant besoin de tendresse. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime tant la musique: parce qu’il est possible d’y être tendre – en voici une preuve superbe.

Dans l’histoire du jazz, de nombreux monstres sacrés du saxophone tenor se sont succédés, à commencer par Lester Young, John Coltrane et Coleman Hawkins, et plus récemment Sonny Rollins (le dernier restant en vie, et que j’ai eu la chance de voir en concert au théâtre antique de Vienne).

Ben Webster est moins connu, mais il est l’un de mes saxophonistes tenor préférés, pour son son feutré, rond et chaud, avec un souffle très présent. Afro-américain comme tous les autres géants cités ci-dessus, il a beaucoup tourné dans des big bands, notamment dans l’orchestre de Duke Ellington où il a fait ses classes, avant de prendre son envol dans ses propres petites formations, puis de finir sa vie à Amsterdam.

Ben Webster fait notamment merveille dans les ballades, comme dans cette interprétation sensuelle de l’un de mes standards favoris, le langoureux « Tenderly » , ici enregistré sur un album au titre légèrement immodeste (« King of the tenors » ). C’est peu dire que la façon dont il joue ce morceau en illustre le titre à la perfection: Ben Webster y est royal.

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