[Bonnes vacances à celles et ceux qui ont de la chance et les moyens d’en prendre, et bon courage à celles et ceux qui en reviennent et qui reprennent le travail…]
Quel drôle de film que « Les vacances de monsieur Hulot » de Jacques Tati! Si vous ne l’avez pas encore vu, je vous invite à suivre la chronique tendre et loufoque de ses aventures au bord de la mer, dans l’hôtel familial où il a réservé, sur la plage, sur un court de tennis…

Dans ce film il ne se passe rien d’important. Jacques Tati ne montre rien d’autre que des vacanciers issus des couches moyennes qui profitent des congés payés et qui se livrent à des activités paisibles, et un grand dadais maladroit, étourdi et burlesque qui les perturbe d’autant plus qu’il est totalement désintéressé et plein de bonne volonté. Monsieur Hulot est un personnage qui semble échappé du cinéma muet et perdu dans le monde du cinéma parlant: c’est son corps qui parle, ses mimiques, ses gestes saccadés et à contre-temps, et naturellement pas grand monde n’arrive à le comprendre: il évolue dans la société avec autant d’aisance que l’albatros aux ailes de géant titubant sur le pont d’un navire.
Au-delà des gags ingénieux et d’une étonnante diversité, il y a dans ce film (comme dans « Mon oncle » où le même personnage de monsieur Hulot réapparaîtra quelques années plus tard) une dimension politique et sociale: Tati glisse subtilement que la croissance, la prospérité économique, l’optimisme et la fascination pour la technologie et les gadgets qui caractérisent les Trente glorieuses ont quelque chose de ridicule (bien plus ridicule que Monsieur Hulot lui-même), et que l’essentiel se situe ailleurs, dans les plaisirs simples, dans le partage de moments en famille, dans la joie de se laisser dorer par le soleil et d’écouter le son des vagues, dans la magie de l’enfance, dans le rire.
J’aime beaucoup ce film pour les mêmes raisons que j’adore Gaston Lagaffe ou le « libre Max » d’Hervé Cristiani: ces personnages dynamitent la société, mais sans poser de bombe, juste en ne respectant pas ses codes. Et ce que j’aime plus encore, c’est le fait qu’ils ne sont pas marginaux ou décalés par choix, par insoumission ou par revendication, mais tout à fait innocemment. Ce n’est pas qu’ils refusent de jouer le jeu et ses règles, ce n’est pas qu’ils se révoltent contre elles, c’est qu’ils ne semblent même pas les connaître, en tous cas ils ne semblent pas les comprendre: ils ne suivent que leur imagination et leur envie de s’amuser et de créer. Pour moi qui suis parfois si sérieux et si grave, qui ai tant de mal à lâcher les freins et à me laisser aller, il y a dans ces personnages aussi punks que poètes quelque chose d’assez fascinant.
La bande son des « Vacances de monsieur Hulot » , composée par Alain Romans, est elle aussi une merveille de délicatesse et de poésie. Intitulé « Quel temps fait-il à Paris? » , le fameux thème principal apparaît à de nombreuses reprises dans le film, parfois pour marquer la transition entre deux séquences, parfois pour faire danser des personnages (pour le bal du 14 juillet), parfois pour rythmer les gestes de certains personnages (qui sont alors exécutés sur le même tempo, comme s’ils étaient en train de l’entendre). Ici ou là, ce thème est mixé avec d’autres sons (le bruit des vagues, le cri d’un vendeur, le discours d’un homme politique, la cloche du restaurant…). Il est joué sur des rythmes plus ou moins lents, avec des instruments différents (il y a même un personnage qui le siffle).
La structure et l’instrumentation de ce thème sont construites de façon extrêmement minutieuses et sont dotées d’une signification précise, elles soutiennent pleinement le message du film. Comme le dit très bien une analyse de la musique des « Vacances de monsieur Hulot » par Philippe Thémiot (conseiller pédagogique en arts visuels), « ce thème récurrent met à la fois en évidence les rites et les répétitions qui constituent la vie en villégiature et paraît en souligner l’insignifiance, par sa rengaine simple et joyeuse. Pourtant, elle est écrite en mode mineur, et l’accumulation des mésaventures et des maladresses de monsieur Hulot finit par laisser filtrer une certaine tristesse, à l’image de la solitude du personnage principal, au moment de son départ. »
Monsieur Hulot n’échappe pas à la malédiction qui frappe la plupart des clowns: s’ils nous font rire, c’est bien souvent pour masquer le soupçon de tristesse ou de nostalgie qui est en eux, et qui parfois les dévore dans leur vie privée.
Mais le rire et la joie sont bel et bien présents pour nous qui pouvons regarder ce film hilarant et écouter cette musique délicieuse, alors profitons en.