Francis Cabrel – « Le petit gars »

Demain, je vais retrouver « la cité » , comme le dit Francis Cabrel dans cette chanson, et cela procure en moi des sentiments contrastés: l’envie de reprendre contact avec du monde (mon ami Laurent à Paris, puis mes collègues et mes étudiant(e)s, Aurore toute la semaine…), le désir de retrouver la sociabilité, les activités et les rencontres variées que procure la ville, de façon facile, parfois totalement à l’improviste; et en même temps une espèce de fatigue, voire de dégoût, à cause de cette même agitation, de la frénésie de la vie urbaine, mais surtout de son déracinement, de son caractère totalement hors sol, et aussi du mépris que la plupart de ses habitant(e)s ressentent pour le rural d’où je viens et où je me suis réinstallé…

Alors que j’étais pris par ce maelstrom de sentiments, j’ai repensé à cette chanson, que j’aime beaucoup.

Francis Cabrel faisait partie de mes chanteurs préférés dans mes années de lycée (surtout pendant la seconde et la première), et à l’époque plusieurs de mes copains l’écoutaient pas mal.

Je me souviens qu’un jour, l’un d’eux a lancé cette formule définitive, du genre de celles qu’on aime à l’adolescence: « Quelqu’un qui aime Cabrel ne peut pas être complètement mauvais » . Ça m’avait amusé, mais si je m’en souviens encore clairement aujourd’hui, c’est sans doute parce que j’y ai tout de suite trouvé l’expression d’une certaine vérité. J’appréciais, et j’apprécie encore l’atmosphère de tranquillité et de sérénité qui se dégage globalement de la discographie de Cabrel, et de sa personnalité aussi.

Musicalement, c’est autre chose… Avec le temps, j’ai commencé à penser que c’est très plan-plan voire ennuyeux, surtout dans les derniers albums (je le trouve de plus en plus en roue libre le père Francis, c’est à se demander s’il écrit et compose encore pour autre chose que pour payer ses factures).

Cela dit j’aime réécouter parfois ses vieux albums, et en particulier cette chanson, parce qu’elle me fait sentir que mes convictions décroissantes et mes aspirations à la sobriété heureuse ne datent pas d’hier – et je trouve ça plutôt agréable de constater une certaine continuité dans sa vie.

Le petit gars qui vit de l’autre côté de « la rivière du père » , et qui vient de temps en temps en haut de la colline « regarder la cité » , c’était un peu moi à l’époque. Je vivais sur les hauteurs de Grenoble, et déjà je sentais confusément qu’il y avait quelque chose de dingo dans la vie citadine, dans ce vibrionnage permanent, dans cette profusion d’activités, dans cette vitesse généralisée, dans cette compétition effrénée pour être plus fort, plus branché ou plus moderne que les autres à n’importe quel prix, et même pour les enjeux les plus absurdes ou les plus délétères.

J’aimais cette dénonciation des « ogres d’affaires » qui tournent « dans les tours de verre climatisées » .

J’aimais plus encore le regard compatissant pour les pauvres fourmis perdues dans cette société délirante (« Ils vont finir par manquer d’air » / « À quoi servent leurs têtes fières / puisqu’ils marchent le dos courbé? » )

Mais ce qui me touchait le plus, c’est l’éloge de la bonhomie de ce « petit gars« , qui se réjouit de rester en marge de ce monde qu’il observe avec circonspection, et qui se délecte des plaisirs simples que sa vie lui offre (« Mais le petit gars ne comprenait rien / Allongé sous les arbres il se trouvait bien, / en attendant que cuise son pain. » ) Un peu comme le « libre Max » d’Hervé Cristiani…

Quelques décennies ont passé depuis cette période, mais je me rends compte qu’en faisant ce grand pas de côté pour m’éloigner de la vie urbaine, je suis resté fidèle à ma tendresse de toujours pour Francis Cabrel. Et plus que jamais, je suis convaincu que celles et ceux qui s’abîment le corps et l’âme dans la mégamachine seraient bien inspirés de faire à leur tour ce pas de côté, ou de « bifurquer » , comme c’est désormais un mot à la mode. Pour ma part je préfère dire extra-vaguer, parce que je ne sais pas bien où ça me mène…

« Allongés sous les arbres ils seraient si bien,

attendant tranquilles que coule le vin. »

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