Je me souviens encore de mon amusement quand j’avais découvert le « paradoxe du menteur ».
Ce paradoxe met en scène un Crétois, Épiménide, qui affirme que « Tous les Crétois sont des menteurs« . Il s’agit d’une phrase qui est fausse si Épiménide ment, mais qui l’est aussi s’il dit la vérité :
– Si Épiménide ment quand il énonce cette phrase, alors cela signifie qu’il y a au moins un Crétois quelque part qui n’est pas un menteur… et donc la phrase « Tous les Crétois sont des menteurs » est bel et bien fausse.
– Mais Épiménide ne peut pas dire la vérité quand il prononce cette phrase, puisque alors ça voudrait dire il y a quand même un Crétois qui, au moins de temps en temps, n’est PAS un menteur (lui-même quand il prononce cette phrase!)… et donc la phrase « Tous les Crétois sont des menteurs » serait fausse aussi.
C’est une phrase qu’un cerveau torturé peut retourner dans tous les sens sans jamais trouver le repos, car il n’y a pas d’échappatoire…
L’impression d’être épuisé(e), désorienté(e), vidé(e), et même torturé(e), c’est une impression qu’on a facilement quand on est en présence, ou pire quand on partage le quotidien d’une personne qui ment en permanence (y compris à ses propres yeux), qui présente en public une image qui ne correspond pas du tout à ce qu’il est dans l’intimité, qui travestit et reconstruit la réalité, qui réécrit le passé, qui renie les moindres avancées, les fausses excuses et les fausses promesses qu’il pu un jour formuler de façon purement intéressée, pour endormir la méfiance ou de désir de justice de sa victime… et qui pour finir se présente lui-même comme la victime (ouin ouin).
Ces derniers temps, j’entends souvent parler d’une personne de ce type, et je vois à quel point sa victime n’en peut plus. Il faut rencontrer en vrai un pervers narcissique et manipulateur pour mesurer à quel point ce genre de sale type peut détruire des vies…
Dans cette chanson, sortie en 2009 sur le très intimiste album « Self-portrait » (son septième), c’est bien sûr de tout autre chose que parle Jay-Jay Johanson en évoquant le mensonge. Mais on y retrouve quand même le thème de l’incompréhension et de l’incommunicabilité, avec une touche de douleur et d’angoisse en plus.
Jay-Jay s’adresse ici à une femme que manifestement il ne comprend pas (ou plus?), avec laquelle il n’est pas (ou plus?) accordé, à qui il reproche un certain manque de transparence et d’honnêteté – bref, une femme dont il se sent trahi. Il finit par lui demander si elle le croit quand il lui assure qu’il l’aime encore, mais on sent qu’il se désole plutôt qu’elle ne le croie plus, ou que cette protestation d’amour ne lui suffise plus.
Tout cela est dit en très peu de mots (six vers très courts répétés deux fois), chantés d’une voix blanche et gracile, avec pour seul accompagnement quelques accords posés sur un piano sépulcral. Plus épuré, et plus beau, c’est difficilement possible.
« Liar » est une chanson d’une désolation infinie, intense et vibrante, tranchante comme un scalpel. Je me souviens que dans les années qui ont suivi la séparation d’avec ma femme, je suis souvent ressorti de ces 56 secondes la tête basse et la gorge nouée. Heureusement, ça a fini par passer…
« You tell me that you’re lying
but I know it’s not true
You say you didn’t do it
but I’m sure it was you
If I tell you that I love you,
would that make me a liar too? »