Leonard Cohen – « The future »

Sorti en 1992, quatre ans après « I’m your man » , l’album « The future » reste à peu près dans la même veine sur le plan musical. Honnêtement, il ne me donne pas trop envie de m’écrier « I’m your fan » , car je trouve beaucoup de morceaux plutôt monotones.

C’est notamment le cas de la chanson titre de l’album. Celle-ci s’ouvre sur quelques notes jouées sur un orgue numérique « cheap and kitsch » , et elle est ensuite rythmée par un batteur en roue libre, avec ici ou là un bref gimmick de guitare électrique au son typique des années 80, et des choeurs féminins très (trop) présents. Dans cet environnement sonore easy-listening, qui a mal vieilli je trouve, même la voix rauque et grave de Leonard Cohen ne me touche pas spécialement.

Si malgré ces réserves cette chanson m’a marqué, c’est pour ces deux vers, qui reviennent à deux reprises: « I’ve seen the future, brother / It is murder » (pas étonnant que ce morceau ait été utilisé dans la BO du film d’Oliver Stone « Tueurs nés » ).

Pendant longtemps, j’ai trouvé que ces mots avaient quelque chose de prophétique: je me disais que le meurtre, la guerre, la barbarie, on y allait tout droit, dans un aveuglement quasi général.

Mais ces derniers temps, j’ai bien l’impression qu’on est en train d’accélérer sur cette voie sans issue, à fond, et même en klaxonnant.

La « plus grande démocratie du monde » vient d’élire un président affreusement raciste, misogyne, inculte, complotiste et sociopathe, qui nomme dans son équipe gouvernementale une ribambelles de crétins illuminés du même acabit (le pompon étant un animateur de Fox news comme secrétaire d’État à la Défense, si si). Depuis un an, la « seule démocratie du Moyen Orient » bombarde une population à ses portes dans le but d’écraser sa résistance, ou de l’anéantir tout court. Quant au « pays des droits de l’homme » , il a comme ministre de l’Intérieur un type qui place l’opinion publique au-dessus de l’État de droit, et son gouvernement tout entier court après l’extrême-droite de façon de plus en plus éhontée, comme si ça allait empêcher celle-ci de poursuivre sa marche inexorable vers le pouvoir.

Pendant ce temps, un peu partout dans le monde, les militantes et les militants écologistes qui font leur possible pour qu’on préserve une planète vivable sont menacé·es, pourchassé·es, parfois agressé·es ou carrément assassiné·es. En France on a encore de la chance, on les traite « seulement » d’éco-terroristes (mais l’État réprime de plus en plus violemment leurs manifestations et il laisse la Coordination rurale les menacer de mort sans lever le sourcil). Quoi qu’il en soit, je ne vois pas comment l’effondrement écologique en cours va pouvoir se terminer autrement que par un chaos ultra-violent.

Je ne parle même pas de la guerre en Ukraine, déclenchée par un dictateur mégalomane, ou du risque toujours présent du terrorisme islamiste, qui finira bien par ressurgir un jour ou l’autre.

J’ai l’impression quelle que soit la direction dans laquelle on regarde, la violence enfle et menace de déferler.

Cette chanson de Leonard Cohen, c’est un peu un condensé de tout cela: la prise de conscience amère de la folie d’un monde en train de partir à la dérive dans toutes les directions (« Things are going to slide/ slide in all directions » ), l’effroi et l’impuissance devant la violence qui (re)gagne du terrain, devant la barbarie qui est à nos portes, et que nous avons même déjà laissé entrer (« The blizzard of the world / has crossed the threshold » ). Dans tout l’album, et dans cette chanson en particulier, Cohen se place en homme âgé qui, fort de sa longue expérience, observe et raconte. Ce qu’il voit et ce qu’il décrit ne fait pas envie, mais je crains bien que ce notre avenir y ressemble diablement…

Je dis de plus en plus en souvent que face à l’ouragan qui s’annonce, il n’y aura bientôt plus aucun endroit où se cacher. À part en nous-mêmes, peut-être.

« Give me back my broken night,

My mirrored room, my secret life »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *