Fontaines D.C. – « In the modern world »

Périodiquement, un nouveau groupe de jeunes plus ou moins chevelus surgit et suscite l’enthousiasme de la critique musicale, qui se prend à rêver (ou joue à rêver) que ce groupe va remettre le rock et la musique populaire sur la voie du renouveau, ou qu’ils en représentent le « futur ».

Je me souviens très précisément avoir lu ce genre de choses au sujet de Radiohead, de Nirvana, d’Arcade Fire, de Franz Ferdinand… Que des excellents groupes, que j’écoute souvent (en tous cas pour les trois premiers), mais enfin il me semble qu’aucun d’entre eux n’a eu et n’aura dans l’histoire de la musique populaire la même place que les monstres sacrés que sont les Beatles, les Stones, Led Zeppelin ou Pink Floyd.

Cette année 2024, le groupe à guitares post-punk, furibard et anti-système dans lequel l’espoir d’un grand retour du rock a été investi, c’est Fontaines D.C – cf. par exemple ce titre de GQ en octobre (« Les Irlandais de Fontaines D.C. peuvent-ils faire renaître le rock ? »).

Né en 2014 à Dublin (le D.C. signifie « Dublin City »), ce groupe est formé de cinq jeunes hommes qui se sont réunis alors qu’ils fréquentaient un collège de musique, grâce à leur goût commun pour la poésie (ils ont d’ailleurs publié tous ensemble deux recueils de poésie). Sorti en 2019, le premier album de Fontaines D.C, « Dogrel », rend d’ailleurs dans son titre un hommage à ce qu’on appelle en Irlande la « poésie de la classe ouvrière », qui remonte au début du 17ème siècle, et qu’on appelle là-bas la « Doggerel ». L’amour de l’art partagé par les membres du groupe n’est pas une posture: le producteur qui a travaillé sur le dernier album « Romance », James Ford, se souvient que quand il les a rencontrés, “La première chose que Grian a voulu savoir, c’est le livre que je lisais en ce moment. Ils sont très sérieux. Ils ne sont pas là pour déconner.”

Le premier opus du groupe, « Dogrel », a été très largement salué par la critique – par exemple The Guardian l’a gratifié de cinq étoiles et l’a qualifié de « début parfait ». Fontaines D.C y apparaît convaincu de son propre génie et de la grandeur de son destin (« I’m gonna be BIG »), mais il a fallu attendre quelques années pour que la mayonnaise prenne dans le grand public: une nomination aux Grammy Awards en 2021, un BRIT Award en 2023…

Avec son quatrième album « Romance », Fontaines D.C a enfin rencontré un succès public beaucoup plus large. Ce disque a été décrit comme plus mature, « plus réfléchi et plus élaboré », comme l’a écrit le New Musical Express. Au lieu de faire péter la frustration et la douleur à la tronche de son public avec des morceaux d’une noirceur intense et habitée puissants comme des uppercuts, le groupe exprime ces émotions de façon plus subtile et même mélancolique (dans une interview récente, le chanteur Grian Chatten a dit que « Plus le monde devient implacablement hostile, plus l’amour et l’évasion m’intéressent »), de façon plus inventive et créative, plus variée aussi. Comme l’écrit Olivia Ovenden dans GQ, le disque comprend encore « des chansons pleines de fureur et d’angoisse », telles que « Starburster »: écrite par Grian après une attaque de panique subie dans le métro londonien, elle est scandée par une batterie qui frappe en pleine poitrine et par des inspirations rauques et douloureuses, comme quand on reprend soudain son souffle après avoir bloqué sa respiration autant que possible. L’introduction de l’album, qui porte le même nom, est magnifique et ténébreuse, avec des sonorités industrielles et inquiétantes, des nappes synthétiques, des vrombissements de guitares, des fracas de cymbales gigantesques… Mais globalement, le son de ce disque est quand même moins rugueux que les précédents, moins abrasif et plus accessible. Comme l’a joliment écrit le site Sound of violence, qui suit l’actualité du rock britannique, cet album est « aussi libre et vital qu’une respiration ».

Résultat de tout cela, « Romance » est un disque captivant qui a été littéralement acclamé par la critique musicale, mais qui s’est également mieux vendu que les trois précédents albums du groupe, et qui lui a valu des passages dans des salles de concert bien plus vastes et des invitations comme têtes d’affiche dans des festivals.

Ça y est, le train Fontaines D.C est lancé, et bien lancé.

Quatrième single de l’album, la balade « In the Modern World » est un chef d’oeuvre étourdissant et majestueux, aux mélodies évidentes et zébrées de ruptures frappantes, aux guitares ravageuses, aux arrangements subtils, aux choeurs flamboyants, et au refrain terrassant chanté par un Grian Chatten dont la voix colle des frissons.

C’est par ce titre que j’ai découvert Fontaines D.C. J’ai tout de suite senti que j’étais en train de m’ouvrir l’accès à un univers musical que je n’avais pas fini d’arpenter. Je n’aime pas grand chose de ce monde moderne à la dérive, et je m’y sens souvent très mal, mais il offre quand même des merveilles…

« I don’t feel anything in the modern world »

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