Quand j’étais enfant, mes parents écoutaient souvent Georges Moustaki (surtout ma mère, je crois), et il reste toujours quelque chose de ces souvenirs musicaux de jeunesse, profondément ancrés dans nos mémoires.
Aujourd’hui je trouve la musique de Moustaki très plan-plan (Pierre Desproges l’a un jour surnommé « la tsé-tsé du Pirée » , et je trouve cette formule aussi drôle que judicieuse). En revanche j’aime ses textes et les thèmes qu’il aborde, très inspirés par la vague post soixante-huitarde et par l’écologisme, qui était alors en train d’émerger, avec bien plus d’ambition et de radicalité que chez la plupart des leaders actuels d’EELV ou du mouvement climat.
Écrite en 1970, cette chanson semble inspirée par ce qu’on n’appelait pas encore la solastalgie, ce sentiment poignant de constater que le monde naturel que l’on a aimé est en train de dépérir ou même d’agoniser. C’est en vain que Moustaki cherche son paradis perdu (« Où est-il ce jardin toutes portes ouvertes, / que je cherche encore mais que je ne trouve plus? » ), cette nature si douce et accueillante qu’il la compare à « un lit de mousse pour y faire l’amour » . C’est même au passé qu’il en parle, comme si la cause était déjà entendue (« Il y avait un jardin qu’on appelait la terre » ).
Musicalement, Moustaki est ici plus inspiré que d’habitude. Accompagné d’un orchestre très varié (guitare, contrebasse, violoncelle, percussions, flûte…), il obtient de ces instruments une alchimie légère, douce, ample et intensément mélancolique. Ma mère fredonnait les « la la la » de cette chanson à chaque fois qu’elle l’écoutait, et je crois l’entendre encore.
Mais rien à faire, chez Georges Moustaki, ce n’est pas la musique ou le chant qui me plaît, c’est le texte. Ici c’est en particulier le préambule de présentation, qui est récité d’une voix nouée, après que quelques sons stridents de violoncelle aient installé l’atmosphère grave qui convient pour les prononcer:
« C’est une chanson pour les enfants qui naissent et qui vivent
entre l’acier et le bitume, entre le béton et l’asphalte,
et qui ne sauront peut-être jamais
que la terre était un jardin. »
Cinquante ans plus tard, ces mots résonnent plus que jamais: tout est en train de se déliter et même de disparaître, dans une indifférence et une inconscience proprement sidérantes.
En attendant, profitons du spectacle et de la beauté du monde, même le coeur serré de chagrin et de rage.