Giacomo Puccini – « Madame Butterfly / Un bel di vedremo »

Je suis à peu près sûr de ne jamais avoir regardé un opéra en entier, car je suis le plus souvent assez saoulé par les scènes de dialogues, qui m’ont toujours paru désordonnées et artificielles.

En revanche j’aime passionnément un grand nombre d’arias, ces pièces musicales écrites pour une voix seule, qui sont en quelque sorte les morceaux de bravoure des opéras, les moments que le public connaît, aime et attend avec impatience pendant les représentations. Je possède et j’écoute souvent plusieurs compilations d’arias, à commencer par celle qui rassemble les chants fantastiques offerts par Maria Callas.

J’aime tout particulièrement cet aria issu de l’opéra de Giacomo Puccini, « Madame Butterfly », qui est l’un des airs les plus fameux du répertoire classique.

« Madame Butterfly » est une tragédie qui raconte l’histoire de Cio-Cio-Sa, une très jeune geisha de seulement quinze ans dont le nom signifie en japonais « Madame Papillon ». Un jeune militaire américain cynique et raciste, Benjamin Franklin Pinkerton, loue la maison dans laquelle elle officie, et il l’épouse rapidement. Mais alors que la jeune femme prend cette union très au sérieux (au point qu’elle renonce à sa religion), la cérémonie n’est pour lui qu’un divertissement exotique, ainsi que l’occasion de coucher avec une très jeune femme (avec le recul, l’argument de « Madame Butterfly » est tout sauf #metoo…). L’acte I de l’oeuvre se termine par le départ Pinkerton, qui va laisser Cio-Cio-San sans nouvelles pendant plus de trois ans, durant lesquels elle lui reste fidèle (il faut dire qu’elle a donné naissance à un petit garçon), et elle refuse plusieurs propositions de mariage malgré une situation financière très délicate.

Dans l’acte II, on assiste au retour de l’impudent Pinkerton, accompagné de son épouse américaine. Quand Cio-Cio-San comprend le tragique de la situation, elle abandonne son enfant à Pinkerton et à sa femme, et elle se donne la mort, en se poignardant.

L’aria « Un bel dì, vedremo » (que l’on peut traduire par « Un beau jour nous verrons ») prend place au début de l’acte II. Alors que la servante Suzuki prie sa maîtresse de cesser de pleurer et tente de la raisonner (« On n’a jamais vu un mari étranger revenir au nid« ), Cio-Cio-San, qui attend alors depuis trois ans son officier, le « dieu américain« , s’éloigne, ouvre un shōji (paroi coulissante) qui dévoile la rade de Nagasaki, et elle se met soudain à chanter son espoir du retour de Pinkerton à la « saison où les rouges-gorges font leur nid« , comme il le lui avait promis. Le texte de cet aria et la mise en scène décrivent dans les menus détails le rêve éveillé de Cio-Cio-San, et s’apparentent à une déclaration de foi: la jeune femme essaye à toute force de convaincre Suzuki, et surtout de se convaincre elle-même, que Pinkerton finira par revenir. Contre toute évidence, bien sûr…

Cet aria n’est pas seulement déchirant du fait de son texte: la musique souligne encore plus puissamment le côté pathétique de la réalité vécue par Cio-Cio-San. Elle commence de façon très lente et calme (andante molto calmo), pour mieux souligner la concentration dont la jeune femme a besoin pour donner corps à son désir dans son imagination. Mais après avoir chanté pianissimo, presque murmuré, Cio-Cio-San laisse petit à petit éclater son désespoir, et à 3’01 sa détresse finit par éclater fortissimo, comme si on lui arrachait le cœur. L’intensité dramatique est telle qu’à la fin de cet aria, l’orchestre reprend le thème initial, peut-être parce que Puccini souhaitait décourager les applaudissements et laisser le public confronté à la tragédie de la jeune femme.

Sur le sujet classique de la femme séduite et abandonnée, Giacomo Puccini a écrit et composé un opéra à l’orchestration luxuriante, dont le lyrisme ardent culmine dans cet aria poignant, que je viens d’écouter une dizaine de fois en écrivant cette chronique, toujours le cœur saisi.

Il y a musique et musique, et celle-ci, à mon avis, fait partie des plus belles, surtout lorsqu’elle est magnifiée par la voix exceptionnelle de la reine des divas, Maria Callas la divine.

« Un bel di vedremo

levarsi un fil di fumo sull’estremo

confin del mare.

E poi la nave appare.

Poi la nave bianca

entra nel porto, rumba il suo saluto.

Vedi? E venuto!

Io non gli scendo incontro. Io no.

Mi metto la sul ciglio del colle e aspetto, e aspetto

Gran tempo e non mi pesa, la lunga attesa. »

« Sur la mer calmée, un jour, une fumée montera comme un blanc panache.

Et c’est un beau navire, qui, faisant relâche, entre dans la rade.

Entends sa canonnade ! Écoute et regarde !

Moi, d’accourir, je n’ose, non, non, je reste là, guettant sur la route. »

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