Décidément, ce qui se passe aux Etats-Unis concernant la science est proprement hallucinant.
Comme l’écrit Stéphane Foucart dans Le Monde, « Trump I s’attaquait aux résultats incommodants de certaines disciplines ; Trump II déclare une guerre tous azimuts à la science, comme méthode de description et d’objectivation du réel. L’administration en place met désormais en œuvre une politique qui vise à détruire les instruments permettant de produire des énoncés objectifs. Faire disparaître la réalité pour ne plus laisser les faits porter préjudice à la volonté du chef. »
Cela fait des mois que la question se pose de savoir si le régime politique qui se met en place brutalement aux USA depuis un mois est d’ores et déjà « fasciste » ou s’il est seulement « autoritaire » (ce qui est déjà en soi gravissime). En science politique, les deux termes sont quand même très significativement différents, et pour ma part je suis plus que réservé sur le fait d’utiliser sans précautions le terme « fasciste » (a fortiori le terme « nazi »).
Mais la chasse aux sorcières frénétique que l’on constate dans le domaine scientifique, ajoutée aux prises de positions ouvertement racistes et même suprémacistes de Trump, de Musk, de nombreux membres de leur entourage et des jeunes crétins savants du DOGE…
Si on ajoute à cela les saluts nazis de Musk et de Bannon…
SI on ajoute à cela la reprise par Trump lui-même de la phrase de Napoléon (« He who saves his country does not violate any law » ), ce qui est une affirmation tout à fait explicite du fait qu’il se place lui-même au-dessus des lois et de l’Etat de droit.
SI on ajoute à cela le culte de la personnalité qui se met en place parmi les républicains cireurs de pompe – témoin ce projet de loi déposé par le représentant de la Caroline du Nord, Addison McDowell, qui propose de rebaptiser l’aéroport international Dulles de Washington en l’honneur de Donald Trump 😳 témoin ces photos de prière collective dans le bureau ovale avec une troupe de fidèles endoctrinés touchant leur gourou comme dans un toucher des écrouelles à l’envers 😳 témoin encore cet invraisemblable montage photo de Trump lui-même avec une couronne et le slogan « Long live the king! » (celui-là même qu’on crie lors du sacre des souverains), un photo-montage qui a même été repris sur le site officiel de la Maison blanche 😳)
SI on ajoute à cela l’impérialisme décomplexé (cf. les pressions exercées sur le Canada, le Groenland ou le Panama), et de la proposition obscène sur Gaza, qui consiste à jeter un baril d’essence sur des étincelles qui crépitent, et qui vont mettre le Moyen-Orient encore plus à feu et à sang.
Tout cela dessine un tableau qui commence à être bien clair, affreusement et effroyablement clair.
Et quoi qu’il en soit, on est déjà à des kilomètres de la démocratie (même dans sa version « illibérale » ou simplement « électorale » ): celle-ci est en train de subir un coup d’Etat, un coup d’Etat larvé peut-être (en grande partie fondé sur l’usage des technologies numériques et de l’IA, dont Musk est l’un des seigneurs), mais un véritable coup d’Etat, mis en oeuvre par un rouleau compresseur que rien ne semble pouvoir arrêter à court terme.
Extraits du texte de Stéphane Foucart:
« En supprimant des dizaines de milliers d’emplois et en coupant les financements des recherches qu’ils accusent de « wokisme », le président des Etats-Unis et le milliardaire mènent une attaque sans précédent contre la production de la connaissance. »
« Ce coup d’Etat numérique permet aussi, et surtout, un contrôle étroit du pouvoir sur la conduite de la science et la production de la connaissance, qui n’a plus rien à voir avec ce que la première administration Trump (2017-2021) avait mis en œuvre. Une enquête conduite par Romany Webb (Sabin Center for Climate Change Law) et Lauren Kurtz (Climate Science Legal Defense Fund), publiée en 2022, indique que la « guerre contre la science » menée entre 2017 et 2021 a consisté, pour les chercheurs des institutions et agences fédérales, en une série de censures ponctuelles, de suppressions de certaines données ou encore de pressions conduisant à l’autocensure.
(…)
La situation actuelle est radicalement différente par son ampleur, son caractère systémique et la variété des disciplines touchées.
Donald Trump et Elon Musk plongent la science américaine dans un indescriptible chaos. La revue Science évoque une « décimation » en cours dans les agences scientifiques fédérales. Des dizaines de milliers d’emplois ont été supprimés ou sont en cours de suppression. Certains sont congédiés et rappelés quelques jours plus tard à leur poste après que le caractère crucial de leur activité a été identifié, comme par exemple superviser l’arsenal nucléaire américain.
Des chercheurs reçoivent des lettres de licenciement pour cause d’insuffisance professionnelle quelques semaines après qu’on leur a annoncé une promotion, les communications avec l’étranger sont parfois interdites, des revues éditées par des instituts de recherche fédéraux suspendent leurs publications, les travaux du National Nature Assessment, le plus important rapport sur l’état du patrimoine naturel américain, sont officiellement annulés – ceux des auteurs qui ne sont pas fonctionnaires fédéraux espèrent le publier par leurs propres moyens. La surveillance de la progression du virus grippal à potentiel pandémique H5N1 est, elle aussi, mise à mal.
Partout, les projets de coupes dans le financement de la recherche sont colossaux. Le DOGE vise une réduction de 15% des subsides accordés par les National Institutes of Health aux centres hospitaliers universitaires. La National Science Foundation devrait voir son budget (principalement destiné aux financements de projets menés par les universités publiques et privées) réduit de près de 70 %. Il ne s’agit plus seulement d’atteindre les sciences de l’environnement, mais l’ensemble des activités de recherche conduites aux Etats-Unis suspectées de « wokisme » et de « propagande néomarxiste », selon le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz. »
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J’ajoute quelques commentaires.
A commencer par la liste, proprement hallucinante, de termes dont la présence dans un projet de recherche les frappe désormais d’une interdiction de tout financement et même de toute publication dans une revue scientifique: on y trouve pêle-mêle les mots « femme » , « égalité » , « équité » , « inégalités » , « minorités » , « discrimination » , « privilèges » , « victime » … autant de sujets sur lesquels l’Etat trumpiste affirme officiellement que la recherche critique est illégitime.
Sans parler de la suppression, sur l’intégralité des sites internet relevant de l’Etat fédéral, de TOUTES les références au climat ou à l’environnement [mais comment s’en étonner de la part d’un président qui parle d’un « poisson inutile » , un signe tangible du « chauvinisme humain » dont parlait en 1973 le philosophe Joseph Routley, dans une étude au titre plus que jamais d’actualité, « Is There a Need for a New, an Environmental, Ethic? »]
Ce régime trumpiste est en guerre contre la science, contre la production de connaissance, contre le savoir, et il travaille activement à mettre au pas toutes les personnes et toutes les structures et tous les individus qui protestent contre sa politique et qui travaillent à démontrer de façon objective son caractère raciste, inégalitaire et violent, y compris en faisant régner la terreur.
Cela s’appelle, a minima, un régime autoritaire.
Et celles et ceux qui, de ce côté de l’Atlantique, ricanent en disant que « C’est pareil chez nous » ou que « La Macronie ne vaut pas mieux » , feraient bien de réfléchir un peu avant de proférer ce genre d’inepties: on risque d’avoir bientôt, malheureusement, l’occasion de se rendre compte de toute la différence entre une démocratie représentative, fût-elle pleine de défauts scandaleux, et un régime pour qui la notion même de contre-pouvoir n’a tout simplement pas droit de cité.
[Et il n’y en a sûrement pas que pour 4 ans. Ce régime refuse par définition la notion même de contre-pouvoir et d’alternance, et il ne rendra pas le pouvoir. Il y a fort à parier qu’il pourra aller sans crainte aux prochaines élections, tant il aura muselé les oppositions par la terreur et l’argent… Ce ne sera plus qu’une démocratie de façade ou un simulacre de démocratie, comme en Russie.