Lou Reed – « Dirty Blvd »

Lou Reed a été décrit par son ami Andy Warhol comme « le prince de la nuit et des angoisses » . Durant les années 1980, celles-ci l’ont kidnappé et ont entraîné sa perte, dans le gouffre des addictions les plus diverses.

Mais en 1989, « New York » fut pour Lou Reed l’album de la résurrection après cette traversée du Mordor.

C’est une chronique urbaine qui revient aux sources d’un rock impeccable, brut et énergique, simple et dépouillé, au point de paraître un peu pauvre sur le plan musical (une batterie, une basse, deux guitares). Ce même rock qui, à ses propres dires, lui a sauvé la vie, comme il l’a un jour déclaré: « Si je n’avais pas entendu du rock à la radio, je n’aurais jamais su qu’il y avait de la vie sur cette planète. »

Même impression côté « chant » , puisque quasiment tout est récité en talk-over, net et précis, chirurgical serait-on tenté de dire, c’est-à-dire à l’os, sans fioriture, sans vraiment la moindre fioriture.

Il faut dire que les quatorze textes de l’album sont tous consacrés par Lou Reed à la ville dans laquelle il est né, et ce qu’il décrit n’est pas joli-joli. New York n’est pas alors la cité vers laquelle tous les regards se tournent avec les yeux de Chimène, mais l’une des villes les plus dangereuses du monde. Apaisé et désintoxiqué, Lou Reed se fait chroniqueur engagé et décrit la face sombre de sa cité de coeur: l’exclusion sociale et les victimes du reaganisme, les faubourgs et les bas-fonds, les junkies et les losers, la violence et les ravages du SIDA ou du crack, la corruption… Avec ces textes parfois sordides et souvent pleins d’un humour noir et caustique, le moins qu’on puisse dire est qu’on est très loin de Central Park, des expositions au MOMA et des trajectoires flamboyantes des golden-boys.

Il y avait chez Lou Reed un côté mégalo un peu gênant, par exemple dans cette phrase: « Faulkner avait le sud, Joyce avait Dublin, moi j’ai New York et ses environs. » Mais il est un fait que sa plume est superbement poétique et qu’il est l’un des rares à avoir donné au rock une dimension réellement littéraire. Dans cet album par exemple, que Lou Reed décrit lui-même dans la pochette comme un « film pour les oreilles » – on pourrait aussi parler d’un disque d’écrivain.

« Dirty Blvd » fait partie des titres les plus incisifs de l’album. C’est une chanson assez désespérée, où Lou Reed dépeint le contraste brutal entre l’opulence des uns et la misère des autres, qui se côtoient sans partager le même monde. Ce n’est pas un thème original, mais il l’aborde de façon parfaitement efficace, aussi bien pour le texte, la musique et la voix.

Lou Reed n’était pas que le prince de la nuit et des angoisses, il était aussi celui d’un rock debout et bien vivant.

« I want to fly from dirty boulevard »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *