Quand on enseigne la science politique, ce qu’il y a de bien avec #Trump, c’est que chaque matin en ouvrant les infos, on tombe sur une nouvelle de ses dingueries et on se dit « Tiens ce serait parfait pour illustrer mon chapitre de cours sur l’hybridation entre la démocratie et l’autoritarisme. »
La nouvelle du matin: Trump a prononcé cette nuit un discours paranoïaque et incroyablement agressif à l’égard de la Justice et des médias, dans les locaux même du ministère de la Justice , à la tête duquel il a nommé une pasionaria qui revendique elle-même qu’elle est là « pour le protéger » 😳 – si si, elle a bien dit ça, et elle l’a dit au cours d’une interview sur Fox News, à une intervieweuse qui était… la propre fille de Trump 😳.
Dans ce discours, il a qualifié les magistrats qui ont enquêté ou instruit contre lui de « racailles » , de « corrompus » ou de « dérangés » . Il a même réclamé qu’on les punisse: « Les gens qui nous ont fait ça devraient aller en prison. » Il s’est aussi qualifié lui-même de « principal responsable de l’application de la loi dans notre pays »
(ah bon, je croyais que c’était la Justice).

La séparation des pouvoirs, ainsi définie par Montesquieu (« Tout serait perdu si le même homme ou le même corps exerçait les trois pouvoirs: celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes » ), et qui est depuis plus de deux siècles un fondement essentiel de la démocratie? fondement essentiel de la démocratie? Trump et sa clique ne sont pas au courant, en tous cas lui se torche avec – une métaphore qui cadre bien avec la nullité hallucinante de son argumentation et avec la pauvreté de son vocabulaire, à peine digne d’un collégien (« Ce sont des gens qui sont mauvais, vraiment mauvais » ).

Comme d’habitude, Trump s’est aussi attaqué à cet autre contre-pouvoir traditionnel et indispensable en démocratie que sont les médias. « Ils écrivent littéralement 97,6 % de mauvaises choses sur moi« , et « Ça doit s’arrêter. C’est sûrement illégal« . « Cela influence les juges et fait changer la loi, ça ne peut pas être légal. Je ne crois pas que ce soit légal. »
Passons sur le caractère affligeant de l’argumentation, qui vaudrait un zéro pointé à n’importe quel étudiant en première année de science politique (« Ça ne peut pas être légal, je crois que c’est illégal, donc c’est illégal » ) Quelle pitié c’est pour les États-Unis d’avoir un tel crétin à sa tête.
Mais l’idée qu’il y a derrière est effrayante. Le type passe son temps à dénoncer le « wokisme » qui selon lui entrave la liberté d’expression des Américains, mais il juge illégal le discours des gens qui le critiquent .
[Et bien sûr pas un mot sur le fait que sur X ou Fox news c’est un déferlement de prises de position pro Trump et d’injures et de fausses accusations vis à vis de ses adversaires]
À celles et ceux de mes amis qui continuent à considérer qu’on « exagère » dans les critiques contre Trump, je demande: un pouvoir exécutif qui, dans les locaux mêmes du ministère de la Justice, affirme sa volonté de mettre en prison des juges qui ont simplement fait leur travail (alors que lui-même a laissé faire une tentative de coup d’État dont il a gracié les instigateurs ), et qui considère la critique de son action et de sa personne comme illégale, vous appelez ça comment?
L’autre jour aussi, Trump accusait les organisations qui lancent des appels au boycott de Tesla de « terroristes intérieurs » , et il les menaçait comme un vulgaire chef de gang: « Je vais les arrêter. Nous arrêterons quiconque le fera… Car il portera préjudice à une grande entreprise américaine. Nous savons déjà qui sont certains d’entre eux, nous allons les attraper et ils vivront un enfer » (« go through hell » )
Une fois de plus, ceci est une accusation totalement débile: il n’est évidemment pas illégal pour les consommateurs de boycotter une marque ou une entreprises en Amérique. Dans une décision rendue en 1982, la Cour suprême a affirmé que la protestation contre une entreprise privée est protégée par la Constitution, et en particulier par le premier amendement de celle-ci, qui fonde la liberté d’expression.
Bref, la liberté d’expression, oui, mais seulement quand ça m’arrange, seulement quand c’est moi qui déverse mon fiel et ma haine ou ma con.nerie pathologique – quand ce sont mes adversaires qui s’expriment de façon tout à fait pacifique et non violente, là j’ai le droit de leur promettre l’enfer 🤢
Il faut encore mentionner le fait que Trump a nommé partout, jusque dans l’armée , jusque dans les services secrets
, des gens notoirement incompétents et dont la seule qualité à ses yeux est la loyauté personnelle. Pete Hegseth, le ministre de la Défense est un animateur de Fox news
. Kash Patel, nouveau directeur du FBI, est un fervent complotiste d’extrême droite de la mouvance QAnon, et son nouvel adjoint Dan Bongino a aussi souvent pris pour cible le FBI lui-même, comme après l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021: dans son émission il affirmé que « les bombes qui ont été trouvées près du Capitole y ont été mises exprès par des gens qui voulaient faire accuser les supporters de Trump »
.

En science politique on sait que le fait de s’entourer de partisans choisis exclusivement pour leur loyauté, et même pour leur dévotion (je pense aux hallucinantes scènes de prières dans le bureau ovale, durant lesquelles tout le monde posait une main sur Trump comme s’il était un roi thaumaturge 😳), c’est un signe que ces chefs essaient d’installer une « domination charismatique » (Max Weber), laquelle se soustrait à tout respect de toute loi et de tout principe issu de la tradition. Trump a récemment repris publiquement la fameuse formule de Napoléon « He who saves his country does not violate any law » , et il a aussi diffusé sur la page officielle de la Maison blanche une photo de lui-même avec une couronne et avec le slogan « Long life the king! » .
Trump est en roue libre, il a un total sentiment de toute-puissance et d’impunité (il n’y a qu’à voir la façon incontinente dont il tweete pour savoir qu’il est infoutu de se contrôler), et chaque jour qui passe il s’installe davantage dans les habits de dictateur, chaque jour qui passe il détruit davantage une démocratie américaine qui était bien malade, certes, mais qui existait, alors que désormais elle est en lambeaux – à vrai dire elle n’est même n’est plus qu’un souvenir.
Très honnêtement, je me dis de plus en plus que ce type et son administration ont tellement purgé et verrouillé TOUS les leviers du pouvoir, l’administration, la Justice (la nouveau vice ministre de la Justice est l’un des avocats personnels de Trump, si si je vous jure, si ça ce n’est pas une privatisation de la Justice ), l’armée, le FBI, les médias et même les réseaux sociaux…, qu’il sera très difficile de les renverser démocratiquement. Les prochaines campagnes électorales seront pourries par X, les fake news et les théories du complot, les élections seront truquées (vraiment truquées, arrêtez les comploplos avec votre délire d’élection volée à Trump
C’est même exactement l’inverse qui s’est passé au Capitole: une tentative de coup d’Etat)… Là ça passera a minima par des restrictions au droit de vote savamment orchestrées dans les catégories où l’on vote le plus pour les démocrates, à commencer par les femmes et les minorités ethniques.
Plus ça va et plus je me dis que la seule chose qui pourra renverser ce pouvoir fou, ce sera une crise économique maousse qui ferait apparaître le caractère totalement débile de sa politique économique et de sa diplomatie qui ne font que braquer le monde entier contre les Etats-Unis et saper leur soft power (à mon avis les milieux d’affaires vont finir par lâcher Trump), ou bien des émeutes dont la répression fera apparaître le caractère profondément raciste et dictatorial de ce régime.
En tous cas ça pue vraiment très fort.
Coming soon in France.
/////

[Petites précisions pas inutile à l’intention de celles et ceux qui en me lisant se disent que « Oui mais chez nous (« à Bruxelles » ou dans le « Macronistan ») c’est pareil » ou que « Chez nous c’est pas mieux, la paille et la poutre, bla bla bla »: si vous ne voyez pas la différence entre d’une part un dévoiement de la démocratie (tout à fait critiquable je vous l’accorde, et d’ailleurs on peut et on doit aussi critiquer la façon dont la France est gouvernée, et je l’ai moi-même fait à de nombreux endroits, par exemple ici), une tendance à entraver la démocratie et de s’asseoir sur certains de ses principes quand ça arrange le prince, une démocratie malade (sous les coups de boutoir notamment de l’extrême-droite, et de plus en plus de la droite), et d’autre part un projet politique de suppression de la démocratie, je vous invite à lire un bon manuel de science politique (chapitres sur les régimes politiques), je peux vous donner des références. Je ferai peut-être un post sur le sujet prochainement.
Je vais prendre un exemple concret et simple. En France, l’Etat a imposé un projet d’autoroute (l’A69) en passant en force et en s’asseyant sur plusieurs décisions de justice, en poursuivant les travaux en dépit du fait que des procédures judiciaires étaient en cours pour les suspendre ou pour juger de leur utilité publique, en bidouillant pour prolonger l’instruction, etc. C’est scandaleux, c’est honteux, j’en suis parfaitement d’accord. Mais jusqu’à preuve du contraire, ni le chef de l’Etat ni le Premier ministre n’ont accusé les magistrats qui ont ordonné la suspension des travaux ou qui ont jugé qu’il n’est pas d’utilité publique d’être des « racailles » ou des « corrompus » , et ils ne les ont pas menacés d’aller en prison. Jusqu’à preuve du contraire, il existe encore une Justice indépendante, sur laquelle l’exécutif essaye de faire pression, mais enfin elle reste fondamentalement indépendante. Si vous ne comprenez pas la différence fondamentale entre ça et la tentative de mise au pas brutale et décomplexée de la Justice par l’administration Trump, ça signifie que vous ne comprenez même pas ce que c’est qu’un Etat de droit, et dans ce cas je suis désolé de vous dire qu’à part vous renvoyer à la lecture d’un manuel destiné aux étudiant·es de première année, je ne peux rien pour vous.

Il faut y aller Franco (c’est le cas de le dire): Trump se rêve en dictateur, et il agit comme s’il était un dictateur, en méprisant, en menaçant et en piétinant ses opposant·es de toutes la manières qui lui sont actuellement possibles. C’est un dictateur, point barre.
Et prions pour les Américain·es qu’il ne parvienne pas à faire des Etats-Unis une dictature.]