Britney Spears, « … Baby one more time »

Cette chanson, l’une des plus célèbres de la fin du dernier millénaire, a failli ne pas exister, en tous cas sa carrière mondiale n’a tenu qu’à un fil : écrite par le producteur suédois Max Martin, les trois premiers groupes et artistes à qui elle a été proposée l’ont refusée. Flairant le bon filon, Britney Spears, qui avait été une enfant-star en tant qu’animatrice du Mickey Mouse Club et qui n’avait encore que 16 ans, a sauté sur l’occasion, et elle a eu le nez creux puisque ce single a dépassé le milliard de vues sur Youtube et s’est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires, emmenant dans son sillage l’album vers les 20 millions. Avec cette chanson, Britney a été en tête des hit-parades dans 22 pays, jusqu’à 32 semaines consécutives !

La thématique de la chanson est typiquement adolescente : une jeune fille regrette d’avoir mis fin à sa relation avec son petit ami et souhaite qu’il la recontacte pour avoir une deuxième chance.

Le clip aussi surfe sur la vague des pin-up de la pop: on y voit une Britney Spears à la plastique svelte, d’abord habillée en collégienne (avec uniforme, jupette, chemise blanche nouée sur la poitrine et couettes), puis en survêt et top moulant, en train de danser dans les couloirs puis dans la cour et au gymnase, toujours entourée de ses copines, sur des chorégraphies simplettes mais coquines… On est ici en plein dans l’esthétique du teen-movie, et par anticipation dans ce qui deviendra la littérature « young adults ».

Ajoutez à tout cela une voix aguicheuse, moult oeillades, une musique aux rythmes entraînante, des paroles pas spécialement prise de tête (Britney y prononce 25 fois le mot « Baby » !), et avec le recul on se dit que « … Baby one more time » ne pouvait que cartonner et devenir un hymne pop pour les ados de l’époque (essentiellement pour les filles, mais pas que).

Si j’aime bien cette chanson, c’est aussi parce que j’ai un regard empathique pour Britney Spears, qui fait partie de la longue liste des célébrités exploitées et brisées par le star-system, les paparazzis et les médias, lesquels ont commenté sans relâche son poids, sa plastique, ses cheveux, ses vêtements, ses frasques et ses dérives, ses histoires d’amour avec d’autres stars, et notamment avec les deux petits opportunistes qu’ont été vis-à-vis d’elle Justin Timberlake et Kevin Federline (sortir avec une star, quoi de mieux pour lancer sa propre carrière?)…

Britney Spears n’était absolument pas préparée à subir un tel stress, pour bien des raisons qui l’ont rendue très fragile. D’abord elle a été élevée par un père alcoolique et cupide, dominateur et violent, qui l’a programmée pour devenir sa poule aux œufs d’or. Ensuite elle a été diagnostiquée bipolaire en 2008, ce qui a donné une excuse à son père pour devenir un véritable control freak. Pendant 13 ans, il l’a placée sous tutelle et il a décidé de tout – de qui elle voyait (il enquêtait sur le passé de potentiels petits amis et il leur réclamait des prises de sang), de ce qu’elle mangeait (uniquement des légumes et du poulet), des vêtements qu’elle avait le droit de porter (il lui a refusé une paire de baskets dont le prix était jugée trop élevé par rapport au montant de sa pension), et même de la contraception qu’elle était obligée de prendre ! Pendant ces 13 ans de privations et d’humiliations, elle a été séparée de ses enfants et de ses amis, elle a mené une vie « réglementée au millimètre » , et elle est devenue, comme elle l’a écrit dans son auto-biographie, « l’ombre d’elle même » . On peut même dire que son identité de jeune femme et de mère a totalement été niée : elle a raconté dans son auto-biographie qu’à l’annonce de sa mise sous tutelle, son père s’est exclamé « Britney Spears désormais c’est moi » .

Ce traitement a tant effrayé ses fans que ceux-ci ont lancé un mouvement intitulé #FreeBritney. Si la popstar l’a accepté durant si longtemps, c’est dit-elle pour une seule raison : « Pour mes enfants. Pour gagner le droit de revoir mes fils » .

Aujourd’hui je ne peux pas entendre cette chanson ou regarder ce clip sans penser au prix que Britney Spears a payé pour satisfaire le rêve de son père, comme tant d’autres jeunes gens qui n’ont même pas eu la possibilité d’avoir leur quart d’heure de gloire. Peut-être, finalement, n’a-t-elle pas eu le nez creux en essayant de chanter « … Baby one more time ». Peut-être aurait-il mieux valu pour elle qu’elle mène une vie tranquille de serveuse ou d’institutrice dans son Tenessee natal. Peut-être est-elle l’une des meilleures illustrations modernes de la fameuse formule « Pour vivre heureux, vivons caché », dernier vers et morale de la fable « Le Grillon » de Jean-Pierre Claris de Florian (1793). Dans cette fable, un grillon se désole et se lamente en comparant son sort à celui d’un superbe « papillon » qui se pavane dans les airs : « Dame Nature Pour lui fit tout et pour moi rien » . Mais des enfants se mettent à poursuivre le papillon et à « déchirer la pauvre bête » , et le grillon change alors d’avis : « Oh ! Oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché, Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. » Malheureusement pour elle, Britney Spears peut en témoigner…

« It’s not the way I planned it »

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