Le projet : « la ferme du mec qu’est loin »

Tout le monde connaît la ferme du Bec-Hellouin, mais connaissez-vous « la ferme du mec qu’est loin » ? (je mets un © sur cette vanne pour fans de permaculture 😉)

C’est chez moi.

Pendant des décennies, j’ai vécu comme le petit-bourgeois occidental que je suis, avec des convictions écologistes assez fortes mais un mode de vie qui restait totalement insoutenable écologiquement et socialement, ne serait-ce que parce que j’étais un citadin dont l’intégralité des besoins essentiels était fournis par d’autres humains et par des machines, à grands renfort d’énergie fossile, et au détriment des précaires de ce monde, des générations futures, et au détriment du vivant en général. En outre j’avais de fortes angoisses liés aux perspectives d’effondrement de la société dans laquelle je vivais et des écosystèmes (mais aussi et surtout au fait que je ne faisais pas grand chose de concret pour m’en prémunir, et rien du tout pour essayer de contribuer à les réduire). Tout cela contribuait à me pourrir la vie, et à pourrir celle de mon entourage avec mes alertes permanentes. J’ai raconté cela dans un texte sur j’ai publié sur LinkedIn, qui a été beaucoup lu, beaucoup commenté, et qui m’a valu plusieurs invitations et quelques amitiés: « Etre pleinement conscient de la gravité de la crise écologique, sans sombrer dans le désespoir: est-ce possible, et comment ?« 

Petit à petit, est venu un moment où j’ai trouvé que tout cela était impossible à supporter plus longtemps, et où il fallait que je commence à vivre un peu plus conformément à mes convictions – à moins parler, et à agir davantage. Pour dire les choses aussi clairement que j’ai commencé à les formuler, je me suis dit que j’avais fait beaucoup de mer.de depuis que je suis adulte, et que maintenant je voulais commencer à réparer un peu, pour pouvoir ne pas avoir trop honte de mon parcours quand il arrivera à son terme, et au contraire avoir quelques motifs de fierté. Pouvoir regarder mes enfants dans les yeux sans avoir trop honte est une priorité pour moi.

Alors j’ai bifurqué. Pas d’un seul coup, pas au même rythme sur différents plans, mais j’ai bifurqué.

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Depuis 2020, je suis installé dans le Limousin, dans une maison posée sur 10 hectares bien vallonnés, avec deux grandes granges (environ 300 m2 de surface au sol), une source, un étang, un hectare de forêt, un verger et un potager. Je voulais m’éloigner aussi bien des grandes métropoles que des zones de grandes cultures à perte de vue, et vivre dans une région où les écosystèmes sont encore relativement préservés, avec des zones boisées, des haies et des zones humides – et c’est justement le cas dans le Limousin, qui est un « place-to-be » méconnu. Depuis que j’y suis arrivé, je travaille à y jeter les bases d’un écolieu inspiré par les principes de la permaculture, susceptible d’accueillir au moins 3 familles de générations différentes vivant dans des logements séparés.

Mon credo: associer la tête ET les jambes, la réflexion théorique (sur l’écologie, sur la politique, sur la psychologie…) ET une action concrète pour créer et mettre en place des choses; ou pour le dire autrement, contribuer à mettre en oeuvre en pratique ce à quoi je réfléchis et ce dont je parle, avec assez souvent les genoux et les mains dans la terre, et des courbatures le soir.

Je voudrais que dans 10 ou 15 ans, ce lieu soit devenu une « ferme oasis », avec une faible empreinte écologique et une assez large autonomie pour l’eau (ça c’est fait), pour la nourriture (au moins pour les fruits et les légumes), et pour l’énergie.

Je voudrais aussi que ce lieu soit une réserve de biodiversité sauvage et cultivée, avec les 10 hectares bien plus fortement boisés qu’ils le sont aujourd’hui, maillés par un réseau de haies, et une multiplicité des niches écologiques différentes et interconnectées. J’ai d’ailleurs déjà fait les démarches pour obtenir le label de « refuge LPO » de la Ligue pour la protection des oiseaux.

Je ne vais pas souvent me promener sur mon terrain, qui est si grand. Là plupart du temps, il est là pour moi comme un tampon de nature plus ou moins libre et préservée, entre ma maison et le reste du monde. Je me contente de le regarder de la terrasse et de mes fenêtres, d’observer les oiseaux qui le survolent et qui s’y posent, d’y penser, d’écouter le chant de la hulotte qui s’en élève le soir…

mare

Mais à chaque fois que des amis viennent me voir, on va faire une longue promenade en descendant par les prairies jusqu’à l’étang, puis la mare, le ruisseau, le bois, et à nouveau les prairies, tout au fond, jusqu’en haut. Il y en a toujours plus bien plus d’une heure. A chaque fois on traîne, on bavarde, on regarde à droite et à gauche, je raconte comment a évolué ce terrain et je décris quels sont mes projets pour lui. Souvent je prends des photos. Et à chaque fois je mesure l’avancée çà et là du sauvage: des ronciers qui enflent, dont émergent quelques aubépines, et desquels je vois surgir quelques oiseaux; des frênes qui ont poussé spontanément au pied des piquets il y a sept ans et qui font désormais plus de sept mètres; un ancien étang devenu zone humide et dans lequel les aulnes glutineux et les saules dépassent maintenant les quinze mètres; un terrier de blaireau au milieu d’une prairie; un saule tombé à l’horizontale dont jaillissent une centaine de nouvelles branches verticales; un tremble ou un chêne épargnés par les brebis et qui sont maintenant bien lancés dans la vie… L’une de mes grandes récompenses est de constater que depuis mon arrivée, la nature sauvage se développe: les oiseaux, les insectes, les papillons ou les reptiles reviennent, se multiplient, et tout ce petit monde a l’air de se plaire ici.

Plus ça va et plus je me dis que le mieux que je puisse faire avec ce terrain, c’est d’en rendre une partie significative à la vie sauvage: clôturer des zones pour en interdire l’accès aux brebis, planter des boutures ou des très jeunes plants, ameublir le sol ici et et là et y déposer des semences de toutes sortes, compter sur le vent et les oiseaux pour en disperser des milliers d’autres, et laisser pousser ce qui voudra bien pousser, dans un taillis qui, si tout va bien, deviendra un jour une petite zone boisée supplémentaire ou une belle haie bien large (entre cinq et une dizaine de mètres). La loi de la sélection naturelle fera le reste: seuls les végétaux les plus adaptés survivront, donnant ainsi une chance de vivre à toutes les espèces qui ont besoin de leur présence, créant des corridors écologiques sur un terrain aujourd’hui trop ouvert.

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Depuis que je suis installé, j’ai très nettement amélioré la maison (isolation des toitures, nouveaux systèmes de chauffage, pose de panneaux solaires sur les toitures des granges avec un système de batteries, installation de 2 cuves de 20.000 litres pour récupérer l’eau de pluie – qui est filtrée pour la consommation domestique…). J’ai aussi créé un potager sur plus de 200 m2, et j’ai planté près de 90 arbres fruitiers ainsi que plus de 40 petits fruits (cassissiers, groseillers, camérisiers, myrtilliers, framboisiers…).

Mais bien entendu, énormément reste à faire: d’autres aménagements dans la maison, d’autres plantations (notamment pour reconstituer des haies dignes de ce nom), un poulailler, une phyto-épuration, un bassin de baignade au fil de l’eau qui coule de la source à l’étang (un gros fantasme), et si j’en ai le courage et les moyens (ça ne pourra pas être seul…), l’aménagement dans l’une des granges de logements et d’une salle commune (réunions / conférences / formations / expositions et activités culturelles…).

Malgré tout le projet avance, à mon rythme, au gré du temps que me laisse mon travail d’enseignant à l’Université, de ma fatigue et de mon courage. J’accueille souvent des ami·es, qui viennent et qui reviennent. La maison se transforme parfois en colonie de vacances, pour mon plus grand plaisir.

Des stages ont d’ores et déjà été organisés sur le lieu (Cours Certifié de Permaculture, « Concevoir son écolieu« , « Créer un jardin-forêt« ), avec Mathieu Foudral de Prise de terre comme formateur. A terme, j’espère qu’il y en aura beaucoup d’autres, sur des sujets variés.

Alors à vous que j’aime: viendez, quand vous voulez!

Merci Laurent pour la photo!