En 1984, certains des groupes phares de la new wave synthétique, à commencer par Talk Talk ou Depeche mode, s’apprêtaient à s’en écarter pour partir explorer des univers musicaux plus aventureux, beaucoup plus riches et plus subtils à mon goût.
Ce titre d’Ultravox est alors l’un des chants du cygne de la synthpop, la quintessence de ce qu’elle a pu offrir de meilleur: un morceau endiablé, basé sur une mélodie ample, percutante et facile à mémoriser, avec un parfait mélange de claviers et d’instruments organiques, notamment une batterie tonique et des guitares nerveuses. Pas étonnant que ce soit devenu un énorme tube, notamment en France – les quinquas se souviennent peut-être de ce clip désormais kitschissime, qui a été pas mal diffusé dans le TOP 50.
Comme souvent avec les grands succès new wave, les paroles ne sont pas spécialement joyeuses, c’est le moins que l’on puisse dire: cela parle des dernières heures que vit un couple avant qu’une catastrophe nucléaire annoncée ne vienne tout anéantir (« It’s late and I’m with my love alone / We drink to forget the coming storm » ).
Le thème peut sembler surprenant, mais il faut dire qu’en 1984 on entendait beaucoup parler de missiles nucléaires, puisque l’OTAN était en train de déployer en Allemagne des Pershing pour faire face aux SS20 soviétiques, et les négociations entre les deux camps étaient interrompues depuis l’année précédente. La crainte d’une apocalypse était alors très présente, et d’ailleurs elle a été abordée par plusieurs autres tubes de l’époque (par exemple « Russians » de Sting).
Quoi qu’il en soit, le rythme frénétique de « Dancing with tears in my eyes » exprime très justement le sentiment d’urgence et de désespoir qui s’empare des deux amants, leur sentiment déchirant que quelque chose qui fut merveilleux vit ses derniers feux (« Dancing with tears in my eyes, / weeping for the memory of a life gone by / Dancing with tears in my eyes, / living out a memory of a love that died« ), et leur refus d’accepter que la vie disparaisse (« It’s five and I’m driving home again / It’s hard to believe that it’s my last time » ).
En écrivant ces mots, je me souviens des scènes finales de ce qui est pour moi le meilleur volet de la saga Star Wars, « Rogue one » [attention spoiler]. Dans ce film superbement tragique, un commando improbable se lance dans une mission suicide destinée à donner à la rébellion une chance de détruire l’étoile noire que l’Empire est à deux doigts de finaliser, afin de l’empêcher de mettre à sa botte l’ensemble de la galaxie. Dans la scène finale, splendide et déchirante, les deux jeunes amants s’enlacent, guettant au loin pour regarder bien en face l’explosion qui va les volatiliser, effrayés peut-être, mais soulagés de savoir qu’ils ont réussi leur mission et que le sacrifice de ce commando n’a pas été vain.
Plus récemment, les splendides scènes finales de « Don’t look up » décrivent elles aussi les derniers instants d’une famille qui se réunit, enrichie de quelques amis, chacun et chacune désespéré(e) sans doute que sa vie s’arrête aussi brusquement, mais au moins apaisé(e) de vivre ces moments tous ensemble, les mains dans les mains.
Chez Ultravox en revanche, pas de sublimation de la mort ni de consolation: la fin du monde programmée ne suscite que de l’hébétude et de la détresse, et il ne reste donc qu’à danser les yeux baignés de larmes.
« It’s time and we’re in each other’s arms
It’s time but I don’t think we really care »