Cinquième album de Bob Dylan, « Bringing it all back home » est considéré par beaucoup comme le premier album de folk rock, avec notamment l’utilisation d’instruments électriques sur la première face, ce qui était très novateur en 1965. Ce disque contient plusieurs classiques dont » Subterranean homesick blues » ou « Mr Tambourine man », et il se conclut par « It’s all over now, baby Blue » .
Celle-ci une impressionnante chanson de rupture, mais ici la formule n’a pas le sens que l’on utilise habituellement lorsqu’un morceau parle de la fin d’une relation amoureuse. C’est une chanson sur la fin de beaucoup de choses, de l’amour en particulier mais des illusions en général. Convoquant des métaphores un peu obscures, Bob Dylan y évoque la défaite d’une armée face à un ennemi trop puissant, un amant qui s’en est allé en emportant tout (même les couvertures), un peintre qui dessine de façon chaotique, un vagabond qui frappe à la porte…
Comme l’a finement décrypté Michka Assayas dans un épisode récent de son podcast « Very good trip », ce dont parle ici Bob Dylan, c’est de la rupture au sens large, de la rupture par rapport à tout ce qui leste, pèse et encombre, par rapport à sa vie d’avant, par rapport à son histoire personnelle, parfois même par rapport à son identité. La rupture que l’on déclenche parce qu’on a pris la décision de tourner la page, de clore un chapitre, de tout quitter, de larguer les amarres et de plonger dans l’inconnu. La rupture à laquelle on ne peut pas résister, parce que quelque chose de trop puissant nous y appelle (« Something calls for you » ), et parce qu’il est absolument urgent et vital d’y répondre, même si à certains égards cela peut être très coûteux. La rupture qui nous amène, d’une certaine façon, à dire adieu à son ancien moi, à faire le deuil de l’image de soi que l’on a sculptée au fil des années, et des projets que l’on a conçus pour l’avenir – le deuil de soi-même, en somme (« Yonder stands your orphan » )…
La rupture qui entraîne aussi de faire le deuil de certaines relations, car se lancer dans une démarche aussi radicale, c’est prendre le risque de perdre certains proches, qui ne comprennent pas, qui en tous cas préfèrent rester prudemment ancrés dans leur propre vie, dans leur propres habitudes.
Quand on réfléchit à ce qu’implique une rupture ainsi définie, on ne s’étonne pas que si peu de gens osent s’y lancer: lorsqu’on brûle ses vaisseaux, lorsqu’il n’y a pas de retour possible, on sait qu’on quitte pour de bon les choses ou les personnes qu’on laisse derrière soi, et en général c’est une perspective suffisamment affolante pour renoncer (il m’est arrivé maintes fois dans ma vie de me retrouver dans cette situation, en haut du plongeoir, et de redescendre par l’échelle au lieu de sauter).
« It’s all over now, baby Blue » est très vite devenue un classique très souvent repris, notamment par the Byrds, par le chanteur irlandais Van Morrison avec son groupe Them, par Joan Baez, par Marianne Faithfull, et plus récemment par Echo & The Bunnymen dans une tonalité new wave.
Cela tombe bien, car l’enregistrement initial de Bob Dylan ne me plaît pas tout à fait à cause de sa voix nasillarde. Je sais bien que cela ne suffit pas de « bien chanter », qu’interpréter une chanson c’est aussi l’habiter, et que de ce point de vue il est un interprète de génie… mais malgré tout, j’ai vraiment du mal avec sa voix.
J’ai donc écouté plusieurs versions, et j’ai très vite fait le choix de partager celle de Them. Le riff de basse qui ouvre la chanson, le tournoiement d’orgue, et le flow intense et rageur de la voix de Van Morrison, magnifient le texte de Bob Dylan et me donnent envie, à mon tour, de craquer une allumette et de repartir à zéro…
« Strike another match, go start anew »