« The river » , le double vinyle culte du boss, raconte une succession d’histoires qui mettent en scène des personnages réels ou imaginaires, qui parlent à la première personne ou que Springsteen décrit à la troisième personne, mais avec toujours un fil rouge: ce sont des gens ordinaires, des braves types un peu paumés, dont la vie est cahoteuse, qui se débattent avec des difficultés actuelles ou des souvenirs douloureux (par exemple des relations difficiles avec son père dans « Independence day » ) , qui essayent de s’en sortir dans leur quotidien ou qui nourrissent des rêves inassouvis, mais qui toujours, toujours, essayent de vivre dignement et décemment, de tenir debout, de se battre et de prendre soin de leurs proches.
Comme l’a dit Springsteen dans une interview, « Je parle de la manière dont les hommes et les femmes sont dans la vie » . Et non, la vie n’est pas une rivière tranquille, elle colle souvent des pains au plexus et des coups de pieds au cul.
Les vingt chansons de cet album oscillent entre un lyrisme magnifique, un rock héroïque et des ballades déchirantes, avec comme fil conducteur un songwriting superbe, simple, concis et direct, comme j’aime. Tout est dit en très peu de phrases, mais chaque chanson contient tout un monde, et de chacune on pourrait faire un film entier.
Bruce Springsteen a écrit « The river » (la chanson) pour sa sœur, enceinte à dix-sept ans de son petit ami de dix-neuf ans qui travaillait dans le bâtiment. Elle peint à la première personne comment ces deux jeunes gens ont eu les ailes brisées par une maternité trop précoce et un mariage imposé par les parents et par le juge, puis par des conditions de travail pénibles, la crise économique, le chômage…
C’est l’histoire d’un américain de la working class qui raconte ses souvenirs d’enfant, d’adolescent et de jeune adulte, qui a travaillé dur sans se plaindre pour faire vivre sa famille, et qui essaye vaille que vaille de maintenir la flamme allumée. Bien que ce soit décrit de façon sobre et pudique, c’est déchirant – l’harmonica semble pleurer.
Si cette chanson est l’un des sommets de l’art du songwriting de Springsteen, c’est aussi parce qu’elle est une grande chanson politique. Ce que le boss décrit, c’est la difficulté de vivre une vie décente et heureuse dans une Amérique qui, en 1980, s’apprêtait à replonger dans des décennies de néo-libéralisme. Springsteen a dit un jour dans une interview que tout son travail consiste à critiquer le rêve américain en montrant l’écart entre le fantasme de l’Amérique triomphante (« America’s back » , « Make America geart again » …) et la réalité vécue par ses enfants (à l’époque, en 1980, la récession frappe de plein fouet le peuple des cols bleus de l’Amérique industrielle). Peut-être ne l’a-t-il jamais mieux fait que dans cette chanson.
« Is a dream a lie if it don’t come true
or is it something worse that sends me
down to the river though I know the river is dry »