Jay-Jay Johanson – « So tell the girls that I am back in town »

Jay-Jay Johanson, le crooner rachitique venu du froid (il a grandi à Stockholm), le dandy complexé, le séducteur cafardeux (« sly seducer« ) , a un côté dingo qui me ravit.

Sur son album « Tatoo » par exemple, une des chansons prend la forme d’un interrogatoire de police où il décline son identité, quelques-uns de ses signes caractéristiques, sa profession, etc., en réponse aux questions d’une enquêtrice qui l’accuse « d’avoir volé le coeur d’une jeune femme » .

Comme Jay-Jay le dit lui-même dans une autre chanson, « I guess I’m just a fool » .

Au-delà de la folie, l’univers musical et littéraire préféré de JJJ, à travers tous ses albums ou presque, c’est la mélancolie.

Et pas une mélancolie romantique et fleur-bleue, non. C’est plutôt l’introspection douloureuse, le mal-être, la dérive (« Driftwood » , une chanson sublime, quasiment a capella), parfois carrément le supplice.

La musique mélange des influences jazz (Chet Baker) et des musiques électroniques, débouchant sur une trip-hop évanescente et désabusée, avec un usage assidu du piano, des synthés et de la boîte à rythmes.

La voix se fait caméléon, parfois aiguë et métallique, parfois chaude et caressante, selon l’atmosphère et le thème de la chanson.

Les textes parlent d’échec amoureux (« She’s mine but I’m not hers » , « The girl I love is gone » , « She doesn’t live here anymore »…), de solitude (« Alone again » , « Far away ») , d’émotions déchirantes (« Humiliation » , « Suffering » , « It hurts me so » , « Quel dommage » , « My mother’s grave »…) Autant de chansons à la beauté fatale, crépusculaire, ténébreuse… mais également distanciée, langoureuse et vaporeuse.

Car JJJ décrit la douleur et la détresse avec l’air de ne pas y toucher, d’une voix souvent neutre, éthérée, parfois même spectrale, comme si ce n’était pas de lui qu’il parlait mais d’un double, comme si ces émotions qui l’assiègent étaient vraiment trop effrayantes et traumatisantes pour qu’il prenne le risque de leur ouvrir la porte et de s’y abandonner tout à fait. Ces émotions, il les décrit en long et en large, il les approche, il flirte avec elles, mais il ne les embrasse pas, ou guère. Il évoque ses blessures comme si elles n’étaient que des écorchures ou des éraflures un peu superficielles et qui seront vite oubliées, alors qu’on les devine bien plus profondes et indélébiles.

Bon, si vous découvrez seulement Jay-Jay Johanson, vous l’avez compris, ce n’est pas le fils caché de Charles Trénet et d’Annie Cordy.

À première vue, « So tell the girls that I am back in town » tranche clairement avec cet univers musical et poétique.

Imaginez un renard qui enverrait un carton pour annoncer son arrivée dans le poulailler, en invitant les poulettes à se méfier de lui. C’est un peu ce que chante ici Jay-Jay Johanson: signalant ubi et orbi son retour sur le marché amoureux, il proclame haut et fort que les filles vont succomber et tomber comme des mouches.

Bien sûr, s’il crâne et bombe le torse, ce n’est que jeu et auto-dérision. Jay-Jay Johanson se montre pour mieux se cacher, il joue ostensiblement du contraste entre d’un côté un texte d’une arrogance folle et une voix apprêtée, et de l’autre un physique de gringalet souffreteux, blafard et un tantinet androgyne, qu’il exhibe sur la pochette, et une psychologie timide et introvertie.

Cette chanson est un élan avorté.

Mais tous les élans ne le sont pas, et certains nous emmènent parfois loin, très loin de notre planche d’envol. Dans la vraie vie, même s’ils ne font pas forcément les chansons les plus marquantes, ce sont quand même ceux-là que je préfère.

« I’ve been on the road

I’ve been on vacation

I’ve been travelling light to reach my final destination

Now I’m coming home

(…)

So tell the girls that I am back in town

And if it’s true I do not know

that every girl around had missed me since

I decided to go »

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