Cette chanson, l’une des dernières enregistrées par les Smiths, est la chronique mélancolique d’une adolescence timide et maladroite (« Sixteen, clumsy and shy » , « Call me morbid, call me pale« ) , dont il est si difficile de se remettre.
Un jeune homme raconte le temps où il est arrivé à Londres à l’âge de seize ans, sans un sou en poche (« hopelessly poor« ) , et où il a cherché un endroit où se poser, des petits boulots pour survivre, des amis pour se faire accepter…
Ce narrateur a maintenant fait du chemin, et il raconte que parmi les gens qui l’ont connu à l’époque, certains préfèrent celui qu’il était alors, le jeune garçon candide, naïf, paumé, désarmant de sincérité, pas encore rendu cynique et socialement adapté par la férocité du monde adulte, par les rudes années de galère puis par le succès dans lequel on risque de s’égarer.
On ne sait pas bien ce qu’il en pense lui-même, ce narrateur: a-t-il la nostalgie de cette époque ? J’ai plutôt l’impression qu’il en garde des souvenirs un peu douloureux. Il était jeune, il avait le monde devant lui, de nombreuses possibilités s’offraient à lui, et de tout cela, bien sûr, on peut bien avoir la nostalgie… Mais il était alors si affamé de compréhension, et ce n’est peut-être pas quelque chose qu’il a envie de ressentir à nouveau.
« Half a person » , c’est 3 minutes et 39 secondes de musique douce-amère, qui jamais ne dit clairement si l’amertume l’emporte sur la douceur, ou si c’est l’inverse – sans doute cela doit dépendre de nous qui l’écoutons, et de notre humeur lorsque nous l’écoutons.
Beaucoup de fans écrivent que les chansons des Smiths leur ont sauvé la vie, parce qu’elles les ont aidés à sentir à distance la compréhension et les encouragements dont ils avaient besoin pour traverser une période éprouvante.
« Half a person » est souvent citée dans cette catégorie de chansons salvatrices, et pour cause: l’adolescence qu’elle décrit est par essence l’époque où l’on se cherche et où l’on craint de ne jamais se trouver, l’époque où on a l’impression de n’être qu’une moitié de personne et où on se demande si on trouvera un jour l’inspiration et la force pour devenir une personne pleine et entière, libérée de ses peurs, accomplie. C’est donc aussi l’époque où la moindre main tendue, les moindres mots de réconfort, sont les plus précieux des trésors.
Et pour ça, quoi de mieux qu’une chanson à la mélodie et aux mots empreints de mélancolie, chantée d’une voix pure par un artiste aussi sensible que Morrissey ?
« And if you have five seconds to spare,
then I’ll tell you the story of my life »