Bien qu’il soit souvent considéré avant tout comme un songwriter porteur d’un regard aiguisé sur les Etats-Unis, Dylan excelle aussi dans l’exploration des sentiments et des relations amoureuses. C’est le cas avec cette chanson sortie en 1985 sur l’album « Empire burlesque » .
C’est une chanson terrible sur le désarroi d’un homme qui se rend compte que l’amour l’a fui, qu’il n’éprouve plus grand-chose, que « ça ne fonctionne plus » entre lui et la femme qu’il aimait, sans qu’il puisse arriver à comprendre pourquoi: « You’re the one I’ve been looking for, you’re the one that’s got the key. / But I can’t figure out whether I’m too good for you / or you’re too good for me. »
Contrairement à certaines de ses chansons (Dylan se laisse souvent aller à la misanthropie et la misogynie), ici il n’y a pas de rancoeur ni de colère, plutôt de l’incompréhension et de l’angoisse devant la fuite des sentiments. Le constat initial s’impose dans toute sa brutalité: cette femme est en train de devenir une étrangère, et même un poids qui l’empêche de se réaliser pleinement (« Well, I had to move fast / and I couldn’t with you around my neck.« ) Comme le chante aussi Alain Bashung dans « Fantaisie militaire » , de façon encore plus impitoyable, l’amoureux déconfit n’est plus alors qu’un « soldat sans joie » , à qui l’amour a « faussé compagnie » , et qui n’a donc plus qu’une issue: déguerpir.
Je me souviens que cette impression affolante (« Amouroutai ? ») m’a saisi brusquement avec ma première copine, au bout d’un peu plus d’un an de relation. À l’époque, je me demandais si ça voulait dire qu’elle avait changé et qu’elle ne me plaisait plus, ou si ça voulait dire que moi j’avais changé au point d’avoir envie ou besoin d’une autre personne.
Cette question m’a taraudé un moment. Avec le recul, je comprends aujourd’hui qu’en réalité, j’avais peur de m’attacher et d’être blessé lorsque la relation serait rompue (ce qui a fini par arriver, bien entendu). À l’époque, j’écoutais souvent cette chanson en me disant que moi aussi je ferais mieux, comme Dylan, de choisir la liberté et la solitude, car je croyais dur comme fer que les deux allaient forcément ensemble.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour réaliser d’où me venait cette peur de m’attacher, et pour comprendre que l’attachement (avoir quelqu’un « autour de son cou« ) n’est pas un risque, et encore moins une menace, mais au contraire une chance, et même un cadeau. Aujourd’hui, j’ai vraiment de la peine pour celles et ceux qui n’ont pas, entre leur coeur et celui des personnes qu’ils aiment au plus profond, une « tight connection »…
« Never could learn to drink that blood
and call it wine,
Never could learn to hold you, love,
and call you mine »