Talk Talk – « After the flood »

Talk Talk, encore, parce que j’y reviens régulièrement, avec le même empressement, le même soulagement et la même satisfaction que devant une fontaine fraîche et ombragée quand on a soif en plein cagnard.

Ce titre figure sur le dernier album du groupe, tellement fantastique que j’en ai déjà partagé un titre dans cette playlist annuelle (le sublime « New grass ») , et que j’en partagerai encore un autre d’ici la fin.

« Laughing stock » n’est pas un album facile d’accès: les morceaux sont longs (ici c’est 9’26), les mélodies sont merveilleusement délicates mais souvent minimalistes, la classique alternance couplets / refrain s’estompe voire disparaît… Les six titres forment six univers différents, tous aussi expérimentaux, déconcertants et magiques les uns que les autres.

« After the flood » , c’est d’abord l’une des introductions les plus longues, les plus lentes et les plus merveilleuses que je connaisse. Le chant de Mark Hollis n’arrive qu’à 2’15, et avant cela les instruments entrent doucement en scène, comme émergeant du lointain, à peine audibles au départ: d’abord quelques notes de piano, puis un synthé qui répète une petite phrase toute simple, puis une batterie assourdie et feutrée dont le volume est haussé progressivement, et puis enfin un piano numérique dont la sonorité évoque les premiers Bontempi et leurs notes tremblantes… C’est inattendu, curieux, bizarre, captivant, et lorsque Mark Hollis prend le micro, c’est parti pour un morceau d’anthologie qui culmine sur un refrain éblouissant et mystique (« Dead to respect / to respect to be born« ).

Sur « After the flood » , il y a aussi un passage qui peut rebuter les oreilles sensibles, un long pont qui démarre à 4′: pendant une minute et quinze secondes, nous entendons un curieux grincement de guitare électrique saturée, bloquée sur une seule note et qui semble se débattre dans tous les sens comme si elle était sous la torture. À 5’16, on sort de ce passage comme d’un long tunnel, ébloui par la lumière, accueilli par une ligne de piano synthétique qui s’envole et nous apaise, puis par la voix si étrange de Mark Hollis qui revient nous bercer. Ce passage, je n’aime pas spécialement l’écouter, mais il crée une tension et une intensité qui me font anticiper ce qui suit, et qui débouche sur une espèce d’orgasme musical – une métaphore du désir qui s’excite et enflamme les sens ?

On mesure ici toute la distance entre les premiers tubes new wave de Talk Talk, assez banals et commerciaux, et ce qu’est devenu le groupe au fil des ans: un creuset extraordinaire dont jaillissent des morceaux sensibles et subtils, d’une originalité et d’une richesse folles, à des années-lumières des formats de l’industrie musicale mainstream. Un groupe accroché aussi farouchement que délicatement à son rêve de créer une musique qui ne ressemble qu’à lui seul. Si cette attitude radicale, insoumise et fidèle à soi-même est la définition du punk, alors tu as raison Val, j’ai peut-être un côté punk finalement, même s’il est bien caché.

« After The Flood » , comme le reste de l’album, c’est l’état de grâce permanent pendant dix minutes. J’ai lu quelque part que ce morceau pourrait gagner le « concours de la chanson la plus délicatement barrée« : si ce concours est organisé un jour, je pourrais bien voter pour elle, en croisant les doigts pour qu’elle gagne.

« Shake my head

Turn my face to the floor

Dead to respect

to respect to be born

Lest we forget who lay »

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