Lou Reed – « What’s good »

Après une grosse et assez pathétique traversée du désert dans la décennie 80, Lou Reed a effectué en 1989 un come-back salué par la critique avec « New York » , un diamant sombre et brut, puis en 1990 avec « Songs for Drella » (en collaboration avec John Cale). Deux disques très différents, mais qui tous les deux signent le retour fracassant de l’inspiration.

En 1992 sort « Magic and loss » , un magnifique album concept qui démontre que Lou Reed a décidément retrouvé la grande forme sur le plan artistique. Il y fait preuve à nouveau d’une grande ambition, qui se remarque d’emblée à la pochette très classieuse, aux sous-titres et aux symboles qui accompagnent chacun des quatorze morceaux, au choix de proposer dans le livret une traduction des paroles en quatre langues… Le message qu’il envoie est clair: ce n’est pas un disque comme les autres, ce n’est pas de l’entertainment, c’est de l’art, coco.

Cet album concept est tout entier consacré à la maladie et à la mort.

Il faut dire qu’à l’époque, Lou Reed, qui ne s’est pas encore remis de la disparition récente d’Andy Wharol, est en train d’encaisser deux coups du sort supplémentaires avec l’agonie puis le décès de deux de ses amis très proches des suites d’un cancer. Trois deuils douloureux qui s’ajoutent à ceux, nombreux, que le Sida infligeait alors à la communauté homosexuelle, dans laquelle il gravitait.

Lou Reed décide alors de consacrer un album entier à cette épreuve (ce qui après coup se révélera tragique, puisque lui-même a été emporté par le cancer une vingtaine d’années plus tard). Ça parle donc de séances de chimio, de la dégradation physique, de la douleur, de la crémation, et d’une lente agonie qui, selon les aléas des jours, paraît scandaleuse et tragique, ou au contraire sereine car dans l’ordre des choses.

L’originalité du disque est que la maladie et la mort sont abordées de différents points de vue (un malade, un mourant, un ami désemparé et impuissant…) et à différents moments (l’annonce, le traitement, le décès, les cérémonies qui la suivent). Ce choix permet à Lou Reed d’évoquer des thèmes très différents (la souffrance, le refus de mourir, les remords, l’adieu, le manque, le deuil…), et d’exprimer des émotions très variées (la tristesse, la colère, l’angoisse, l’acceptation, l’apaisement…)

La musique est épurée, sobre et un brin monotone sur la durée de l’album (ce qui est certainement voulu), mais néanmoins intense, avec un morceau introductif instrumental et expérimental, quelques embardées rock…

Vocalement, Lou Reed ne sort guère du registre parlé-chanté, qui là aussi est parfaitement adapté à la thématique générale de « Magic and loss » : comment mieux évoquer ces sujets qu’en récitant avec gravité? En tous cas ce choix fait merveille dans le sensationnel « Magician » , que je partagerai une autre fois.

« What’s good » est le deuxième titre de l’album, assez connu pour avoir été utilisé par Wim Wenders dans le film « Jusqu’au bout du monde ».

Très rythmé, il est emmené par une batterie aussi sèche que peut l’être le claquement de la porte du four qui engloutit un cercueil, et par les accords d’une guitare électrique légère qui reviennent inlassablement, en forme d’ostinato.

Le texte énumère une succession d’images pour illustrer ce qu’est devenue la vie sans un ami très cher: sa saveur est devenue amère, insignifiante, déroutante, comme le mélange de choses qui ne se marient pas bien (de la mayonnaise et du soda, du bacon et de la crème glacée), et surtout comme une dévorante impression de vide, une perpétuelle sensation de douleur (« forever dealing in hurt » )…

Sur le livret, la traduction du titre de cette chanson est « À quoi bon », sans point d’interrogation. À quoi bon, à quoi ça rime de continuer? Lou Reed ne donne aucune réponse, et pas non plus de raison de répondre par l’affirmative. La vie ne rime à rien, elle ne mène nulle part qu’à la mort, l’univers n’a aucun message à nous adresser…

Le message peut a priori sembler désolant et déprimant, et pourtant « What’s good » est aussi un hymne à la vie, car si celle-ci n’est pas juste, elle est quand même belle et bonne (« Life’s good / but not fair at all » , c’est par ces deux vers que la chanson se conclut).

Derrière l’hommage ému à des amis sans qui la vie est profondément morne et pénible, « What’s good » est aussi un avertissement adressé à celles et ceux qui la passent sans la vivre vraiment, contrairement à cet ami qui a vibré jusqu’à ses derniers jours: « You loved a life others throw away nightly » .

Tâchons de ne pas gâcher le temps qui nous est accordé, c’est à peu près à cette conclusion que devrait mener n’importe quelle méditation sérieuse sur la mort – par exemple cette chanson.

« Life’s like a mayonnaise soda

And life’s like space without room

And life’s like bacon and ice cream

That’s what life’s like without you »

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