J’en connais quelques-un(e)s qui, partageant mon admiration sans bornes pour ce groupe fantastique, vont ressentir un tressaillement en voyant apparaître une fois encore un titre de Talk Talk dans cette playlist.
Comme très souvent, Mark Hollis est ici profondément inspiré par la nature (dans son cas il faudrait plutôt dire par la Création). Ce qu’il chante de sa voix si originale et douce, qui s’envole ici ou là en tremblant, c’est l’arrivée du printemps, celui qui réchauffe les corps et les coeurs, qui offre généreusement sa fraîcheur, sa bonté (« Come gentle spring » ), son chatoiement (« Waiting for the colour of spring » )…
Mais bien sûr le printemps n’est pas ici qu’une saison – la sève qui monte dans les arbres, les bourgeons qui s’ouvrent, les oiseaux qui chantent à nouveau et qui préparent les nids pour les couvées à venir…
« Here SHE comes » : ce n’est pas tant le printemps qui revient que la vie, tout simplement – le désir qui ressuscite, la jeunesse qui triomphe à nouveau, ou qui se rappelle au bon souvenir de celles et ceux qui ont déjà des heures de vol. Après l’hiver des frimas et des frissons, de la solitude, du recueillement, du désarroi, voici la délivrance qui s’annonce, frémissante et lumineuse.
Celle qui vient et que Mark Hollis se prépare à fêter, c’est aussi LA femme, ardemment attendue, dont les rires se mêlent aux baisers (« Laughter in her kiss » ), dont les lèvres rosissent, dont la simple apparition et même la simple évocation accélère délicieusement le rythme cardiaque. La Femme majuscule.
Quant à la musique, mon dieu qu’elle est belle aussi…
Avec l’album « The colour of spring », sorti en 1986, Talk Talk s’apprête à larguer les amarres et à entamer l’une des odyssées musicales l’une des plus aventureuses de la période contemporaine. C’est encore de la pop, mais une pop qui ouvre sur un monde infiniment plus large. « April 5th » est comme une graine qui porte en elle le germe de cette évolution, elle annonce les deux derniers albums du groupe qui seront des merveilles absolues de sérénité éthérée.
Musicalement, tout transpire la magie dans cette splendide chanson: les frottements d’une percussion feutrée, quelques notes posées au piano (celles qui semblent tomber du ciel à 1’35, quel miracle), des vagues de synthé délicates, une trompette qui paraît se contorsionner d’excitation, des sons étranges enregistrés au mellotron… et après cette orgie musicale, cela finit par quelques feulements qui nous invitent à nous recueillir et à remercier le génie et l’inspiration de Mark Hollis et sa bande.
C’est quasiment de l’ambient music, en tous cas une musique expérimentale, comme au fond est expérimentale la vie, qui cherche et qui s’infiltre dans toutes les interstices qu’elle peut trouver, qui part et explose de force et de diversité dans toutes les directions.
Comme toujours chez le Talk Talk de la dernière période, la musique est une prière à la beauté et au mystère du monde et de la vie. Mark Hollis murmure vouloir les respirer encore et encore, comme s’il aspirait à se les incorporer, à se transformer en pur réceptacle des sensations et des émotions qu’ils procurent.
Un morceau magistral et envoûtant.
« Here she comes,
silent in her sound
Here she comes,
fresh upon the ground
Come gentle spring
(…)
Let me breathe the colour of spring »