Sorti en 1998, « Fantaisie militaire » est un album éclectique qui fait la synthèse entre les titres populaires que sait créer et chanter Alain Bashung (« Vertige de l’amour », « Gaby », « Ma petite entreprise »…), et les explorations plus audacieuses, sophistiquées, voire expérimentales, que l’on trouvait en nombre sur « Chatterton ».
Sauf que cette synthèse, ce n’est pas du 50/50 (on mélange un peu des deux en perdant un peu des deux au passage), mais du « 1 + 1 = beaucoup plus que 1 »: on hybride le meilleur des deux et on obtient de véritables chefs d’oeuvre, ambitieux et complexes, certes, mais pas inaccessibles du tout (« Angora », « Aucun express »… et « Fantaisie militaire », la chanson).
L’histoire que raconte ce morceau est très simple.
Un homme a aimé, très fort, très tendrement, très chaudement: « J’aimais quand je t’aimais / J’aimais quand je t’observais / J’étais d’attaque« .
Mais au bout d’un moment, l’amour l’a déserté, au point qu’il envisage comme un soulagement la perspective que cette relation se termine: « Soldat sans joie, va, déguerpis / L’amour t’a faussé compagnie« . Petit à petit, « la musique s’est tue« , malgré tous les efforts plus ou moins désordonnés et désespérés pour la ranimer (« Des nuits sans voir le jour / à se tenir en joue / Des mois à s’épier passés à tenter / de s’endormir hanté« )…
Musicalement, « Fantaisie militaire » est une chanson tendue, inquiète, qui récrimine et qui exprime une sourde colère contre la façon dont la relation a tourné. À peine interrompue par un pont à 2’29, la montée en puissance est impressionnante et la chanson évolue de façon sauvage et furieuse, pas très loin du mur de son… avant de se clôturer par 25 secondes de larsen et de sons étranges qui débouchent sur un silence de plomb. Si Alain Bashung se décrit ici comme un soldat, c’est peu dire que ce combattant a perdu son sang-froid. Je l’imagine embourbé dans les tranchées, totalement désorienté, se tenant la tête entre les mains…
« Fantaisie militaire » est une chanson violente et qui ressemble à un exorcisme, comme Alain Bashung l’a dit lui-même dans une belle interview à France-Inter (« Quand je finis un album, j’ai descendu mes poubelles« ). Mais cette violence est « canalisée » (ce n’est pas pour rien qu’elle commence par « Au pays des matins calmes« ). « Parfois, il y a des choses qui arrivent et qui nous bousculent de telle manière que ça nous fait imploser ou exploser. Moi, j’ai la chance de pouvoir le raconter« .
Heureusement pour nous, qui avons la chance de pouvoir écouter le résultat…