Après la légèreté et la grivèlerie d’hier, ce soir c’est l’austérité et la gravité.
Arvo Pärt est un compositeur estonien dont j’ai partagé une première œuvre dans mon année en musique (« Fratres », un extraordinaire duo piano / violon interprété par Keith Jarrett et Gordon Kremer, d’une intensité presque insoutenable).
Il est connu pour des compositions épurées, voire minimalistes, dans lesquelles le silence et la résonance occupent une grande place, si bien qu’il a lui-même appelé son propre style « tintinnabuli » . Il emprunte beaucoup à la musique médiévale et aux chants grégoriens et orthodoxes, mais il est aussi inspiré par la musique répétitive de Philip Glass, et même s’il a affiché à la fin de sa vie un mépris souverain pour la musique sérielle ou dodécaphonique, il en reprend parfois les dissonances et la composition en spirale.
Arvo Pärt a écrit ce « Cantus in memory of Benjamin Britten » en 1977, en hommage au compositeur anglais Benjamin Britten, qui était mort l’année précédente. Il s’agit d’une impressionnante œuvre orchestrale en un seul mouvement, qui exprime des sentiments puissants et dérangeants, comme le plus souvent chez l’estonien. En effet, Arvo Pärt avait commencé à admirer la musique de Britten peu de temps avant la mort de celui-ci, et lorsqu’il l’apprit, il dit avoir ressenti un mélange intense de regret et de tristesse: « Depuis longtemps j’avais voulu rencontrer Britten en personne, et maintenant cela n’adviendrait pas. »
Dans sa première moitié, « Cantus in memory of Benjamin Britten » reprend une seule et même phrase musicale, faite d’une succession de notes qui descendent la gamme de la mineur, en partant d’un même la aigu et en ajoutant à chaque fois une note basse de plus, et sur un rythme toujours identique. Avant que chaque phrase n’arrive à son terme, une autre commence, sur le principe du canon, ce qui donne une impression de tourbillon, comme si nous étions en passe d’être emportés inexorablement dans un siphon. Cette impression est redoublée par le fait que l’orchestre de cordes tournoie tout autant, mais de façon plus lente, en descendant progressivement d’un octave à un autre plus grave.
Dans la deuxième moitié, le rythme de cette phrase musicale se ralentit et elle se fait plus diverse, mais aussi plus puissante, tandis que l’orchestre de cordes finit par rester bloqué sur une seule et même note, créant une atmosphère sourde et quasiment menaçante… et soudain tous les instruments s’arrêtent en brutalement, et le silence s’installe.
Tout au long de cet extraordinaire « Cantus in memory of Benjamin Britten » , une cloche retentit à de multiples reprises: trois fois avant que les violons n’entrent en scène, puis à intervalles réguliers, et enfin pour clôturer le mouvement, comme un marteau qui enfoncerait le dernier clou dans un cercueil.
Ce n’est pas une musique très joyeuse, mais ô combien profonde et percutante!