Altercoupedumondedefootball (jour 27) – le Grèce vs Allemagne des Monty Python

J’adore cette vidéo géniale des Monty Python, qui représente pour moi un sommet absolu d’humour à la fois très cultivé et désopilant.

Tournée au stade olympique de Munich et diffusée en 1972, cette séquence présente un match de football international opposant deux équipes composées de philosophes, la Grèce et l’Allemagne.

La Grèce aligne une pléiade de stars en toge, un peu vieillissantes mais qui ont toute l’expérience du monde: Platon dans les cages, une défense à quatre composée d’Épictète, Aristote, Sophocle et Empédocle, un milieu avec Plotin, Épicure, Héraclite et Démocrite, et un duo d’attaque avec Socrate (capitaine) et Archimède. Le commentateur, qui décrit les compositions avec exactement le même sérieux que pour une vraie Coupe du monde, note que l’absence d’Aristote est une « surprise » , car il semblait être « l’homme en forme du moment » .

En face, l’Allemagne, qui a éliminé en demi-finale l’Angleterre et son fameux milieu de terrain Bentham – Locke – Hobbes, présente elle aussi une tripotée de penseurs de niveau exceptionnel, qui pour leur part se baladent dans leurs habits d’époque et un livre à la main. Le sélectionneur et entraîneur Martin Luther a choisi une composition originale et audacieuse en « 4-2-4 » (les spécialistes savent que ça fait belle lurette qu’on ne joue plus comme ça), avec Leibniz dans les buts, Kant, le capitaine Hegel, Schopenhauer et Schelling à l’arrière, Beckenbauer et Jaspers au milieu, et une attaque de feu qui aligne Schlegel, Wittgenstein, Nietzsche et Heidegger en attaque. Cherchez l’intrus (si vous ne connaissez ni le foot, ni l’histoire de la philosophie, c’est le seul qui porte un maillot).

L’arbitre de cette finale est le chinois Kung fu Confucius, avec Thomas d’Aquin comme juge de touche.

Rien que cette énumération me fait rire, mais ce n’est rien par rapport à ce qui se passe quand le coup d’envoi est donné: les joueurs ne mettent à marcher sur la pelouse en réfléchissant, en regardant vers le ciel, en se grattant la tête… Comme l’a dit Pacôme Thiellement, essayiste et réalisateur et grand admirateur des Monty Python, « Ce sont des types qui trouvent toutes les explications du monde pour ne pas faire le geste le plus simple, une passe. C’est avant tout pour se foutre de la gueule des philosophes. »

Le commentateur raconte avec un sérieux très comique les pensées de ces joueurs et les dialogues entre eux, le carton jaune reçu par Nietzsche pour avoir accusé l’homme en noir de ne pas avoir de libre arbitre, le remplacement de Wittgenstein par Karl Marx, et pour finir l’illumination d’Archimède qui s’écrie soudain « Eureka! » et qui part en courant pour faire un une-deux avec Socrate, donner à Héraclite qui dribble Hegel, qui passe à Archimède, qui centre pour Socrate, lequel marque « le but le plus important de sa carrière » d’une splendide tête plongeante…

Les contestations des Allemands Hegel, Kant et Marx sont tout aussi hilarantes.

L’un des membres des Monty Python, Eric Idle, a dit un jour que « Le football et le rock’n roll sont les deux seules choses qui rendent ma vie acceptable. »

Quant à John Cleese, il a créé une équipe de foot dans son lycée de Bristol, et quand il a été plus tard professeur assistant, il a enseigné le foot à ses élèves sans leur dire qu’il fallait marquer des buts. « Il était juste mort de rire à les voir se faire des passes sans chercher à marquer. »

Tous les deux ont ensuite étudié dans la prestigieuse université de Cambridge, dans laquelle ils ont rencontré un autre membre des Monty Mython, l’étudiant en médecine Graham Chapman. Plus tard ils feront la connaissance de trois autres diplômés iconoclastes, Michael Palin et Terry Jones (qui sortent d’Oxford où ils ont étudié l’histoire et la littérature), et Terry Gilliam (qui était diplômé de sciences politiques).

Aujourd’hui, il est commun de voir des gens mépriser les passionnés de football en les traitant de demeurés ou de fachos. Même si le foot est effectivement devenu un business tout à fait dégueulasse à de nombreux points de vue, ce dédain dogmatique m’agace, car j’y vois une vraie violence de classe, et une façon très commode et facile de se croire soi-même plus intelligent(e) que « ces cons-là » .

C’est pourquoi j’aime bien rappeler qu’il y a aussi des intellectuels brillants qui ont vu dans le football une source de joie, de partage, et même de réflexion et d’humour potache et absurde, sans rien renier de leur érudition, de leur intelligence, de leur lucidité et de leur sensibilité.

Cette diversité et cet éclectisme, j’essaye de la maintenir dans ma vie, et c’est sans doute ce qui explique que j’admire et que j’aime à ce point les Monty Python en général, et cette séquence en particulier.

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