L’autre après-midi, alors que j’étais en train d’étudier en détail des dossiers de candidature au parcours de master dont je suis responsable, j’avais bien du mal à me concentrer sur cette tâche si routinière et qui me paraît si vaine. Soudain j’ai été pris d’une sorte de vertige métaphysique et une phrase m’a pris à la gorge: « Mais je suis quand même pas venu sur Terre pour sélectionner des gens! »
D’où le post sur Dostoïevski, manière polie d’illustrer une immense envie de tout envoyer chier…
J’avais bien avancé depuis le matin, alors je me suis permis une pause. J’ai cherché l’activité qui me ferait à coup sûr du bien, et deux choses me sont venues en tête: m’occuper de cette putain de vaisselle en retard, et écouter un bon disque. L’album que j’ai mis dans la platine, c’est le merveilleux « The colour of spring » de Talk Talk, pour deux chansons notamment: « Happiness is easy » (partagée au début de ma première année en musique), et « Life’s what you make it ». Pour ce deuxième morceau, le texte était écrit depuis un moment, et ce que j’y avais écrit collait tout à fait à mon humeur du jour, alors j’ai changé mon programme, et le voici.
Bilan de la journée: j’ai évalué ma dose quotidienne de candidatures, j’ai fait et rangé la vaisselle, et grâce à Talk Talk j’ai eu le sourire au lèvres et j’ai même dansé pendant que je lavais mes assiettes, mes mugs et mes bocaux Le Parfait. Dingue ça, pas vrai Val?
Pour la chronique qui attendait, c’est tout de suite 👇
Il y a quelques temps, un homme de mon âge que je rencontrais pour la première fois m’a confié qu’il a été récemment diagnostiqué pour une maladie orpheline incurable, et qu’on lui a laissé l’espoir de vivre encore une dizaine d’années, peut-être une douzaine, mais guère plus.
Cet homme m’a dit que passé un moment de sidération, il a eu l’impression d’être placé devant un défi très simple: « Quoi faire des années qui me restent à vivre? M’investir à fond dans mon travail et mes engagements associatifs et politiques, qui me tiennent à coeur? Me recentrer sur ma vie personnelle et familiale, me dévouer à ma compagne et aux enfants? »
La réponse que cet homme m’a dit avoir trouvé à ces interrogations existentielles est simple comme bonjour: « J’ai décidé de ne rien changer » .
Je dois dire que j’ai été sacrément impressionné et bousculé par cette conversation, par la gravité de ce qui m’était confié, et surtout par la réaction pleine de tranquillité et d’une forme de sagesse, que j’admire et qui me font envie. Pour ne rien changer à sa vie alors qu’on se sait condamné avec un terme aussi précis, je suppose qu’il faut être à peu près en paix avec sa conscience, avoir réussi à aligner ses valeurs avec son mode de vie, avoir trouvé un équilibre entre les différentes dimensions de sa vie (l’intime, le professionnel, le social, le spirituel…) – il faut tout simplement mener une vie qui a du sens.
Or je n’en suis pas là, et je crois que c’est cela qui m’a remué, d’autant plus que si ça se trouve il me reste peut-être bien moins à vivre que 10 ou 12 ans (qui sait, l’AVC ou le crabe sont peut-être à mes trousses?).
En réfléchissant à tout cela dans le train qui me ramenait, la chanson qui m’est venue en tête est celle-ci, tirée du troisième album de Talk Talk, celui justement qui entame un virage méditatif depuis la pop sautillante des débuts vers la quête de beauté, de pureté et de sérénité qui caractérise les deux derniers albums.
« Life’s what you make it » – la vie c’est ce que tu en fais. Et de toutes façons il n’en a pas d’autre que celle que nous vivons. Alors à nous de jouer, à nous de faire en sorte que les jours qui nous restent comptent vraiment, quel que soit leur nombre (ce n’est pas la quantité qui compte).
« Baby, life’s what you make it
Can’t escape it
(…)
Baby, life’s what you make it
Celebrate it »