Neil Young – « On the beach »

Après le triomphe commercial et critique de l’album folk-rock « Harvest » et de la merveilleuse et lumineuse chanson « Heart of gold » , Neil Young a entamé une tournée qui l’a épuisé et dont il est ressorti dévasté, revenu de ses rêves hippies de paysan peinard, englué dans l’addiction à la marijuana, en proie à la lente déréliction de son couple, atterré par la déchéance de plusieurs de ses proches, rongé par la culpabilité d’avoir prêté à son bassiste les 50 dollars avec lesquels celui-ci a acheté de quoi se taper une overdose…

Sorti en 1974, « On the beach » est le premier album d’une trilogie que Neil Young himself a appelé la « trilogie du fossé » (ditch trilogy): trois disques sombres et torturés, dans lesquels il exprime sa solitude (il n’a pas écrit « The loner » pour rien!), son désespoir, son incompréhension devant l’évolution du monde, son angoisse face à l’avenir, sa difficulté à trouver le courage pour continuer sur son chemin sans savoir où celui-ci le mènera… La pochette de « On the beach » laisse imaginer une musique estivale et apaisée, mais dès le premier morceau on découvre un album hivernal et plombant, des thèmes et des textes à filer la chair de poule, des musiques sèches et austères… La plage dont il s’agit n’est pas celle où l’on se trémousse sur l’air de la lambada en sirotant un mojito, mais plutôt celle où la marée noire déferle de l’intérieur.

Cet état d’esprit désolé est particulièrement puissant dans « On the beach » (la chanson éponyme), une ballade longue et superbe, un blues décharné et déchirant, une magnifique et captivante dérive cafardeuse.

Le rythme lent et lancinant donne l’impression qu’on est englué dans la chanson, et au-delà dans le spleen tenace et poisseux de Neil Young. C’est comme si celui-ci titubait, toujours à deux doigts de s’affaisser dans le fossé, et comme s’il nous entraînait dans sa glissade de sa voix plaintive: il n’y a plus un musicien et un auditeur, mais deux compagnons d’infortune claudicants et scotchés dans un bad trip.

Le texte, tout aussi sombre, diffuse une tristesse qui s’étire longuement et dont on ne semble pas pouvoir discerner la fin. Le sentiment tragique de solitude est ici exprimé de façon poignante par un homme qui a besoin des autres, mais qui ne réussit pas à se sentir à l’aise avec eux (« I need a crowd of people / but I can’t face them day to day » ).

Musicalement, la détresse de Neil Young est exprimée par la rythmique lente et légèrement bancale, mais elle est aussi accentuée par des jets de guitare électrique brefs et rebelles. Le solo qui démarre à 2’33 est l’un des plus beaux que je connaisse: techniquement il ne me semble pas exceptionnel (pour ce que je peux en juger, je me trompe peut-être), mais quelle intensité dans l’expression des émotions…

« I follow the road, though I don’t know where it ends »

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