[Je me réveille et je découvre le décès de l’une des artistes qui a accompagné certaines de mes émotions les plus intenses. Je ne sais pas combien de dizaines de fois j’ai pleuré à chaudes larmes en écoutant « Nothing compares to you » …
« I went to the doctor / Guess what he told me, / he said «Girl you’d better try to have fun» » . Sinéad n’a pas toujours eu une vie pleine de fun, c’est le moins que moins puisse dire. Mais elle a nous a offert une discographie à fleur de peau, souvent magnifique, comme dans cette très émouvante chanson que j’avais justement partagée il y a quelques jours, dans une indifférence quasiment générale – il faut dire c’est l’été et que tout le monde « try to have fun » .
RIP Sinéad, une femme différente, en effet.]
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Le superbe deuxième album de Sinéad O’Connor, au titre à rallonge (« I do not want what I haven’t got » ), est surtout connu pour le méga tube qu’est devenue la reprise de « Nothing compares 2 U » (sans doute LA chanson de rupture qui m’a le plus broyé les intestins), mais il s’ouvre sur cette chanson aussi magnifique qu’impressionnante, avec laquelle l’irlandaise à fleur de peau frappe très fort en termes d’émotion.
Le morceau, et donc l’album, commence par quelques mots que Sinéad O’Connor récite d’une voix sourde et pleine de gravité (« God grant me the serenity to accept the things I cannot change, / courage to change the things I can, / and the wisdom to know the difference » ). Il s’agit de la « Prière de Sérénité » de Reinhold Niebuhr, un théologien protestant (qui en l’occurrence a totalement pompé sur l’empereur stoïcien Marc-Aurèle). Le choix d’ouvrir l’album sur cette prière, que les membres des Alcooliques Anonymes sont invités à prononcer à chaque moment de tentation, en dit long sur la vulnérabilité assumée de Sinéad O’Connor…
La suite, chantée sur un rythme très lent, essentiellement soutenue par des nappes de cordes striées par des petits coups d’archet nerveux, déploie quelques facettes de cette fragilité et des émotions qui lui sont associées (la perte, le chagrin, la déception, la peur…). Sinéad dresse aussi le constat que la découverte de cette vulnérabilité l’a emmenée, de façon inattendue, vers quelque chose qu’elle ne soupçonnait pas (« I am not like I was before » ).
Ce qui conclut la chanson, et qui me touche beaucoup, c’est aussi une farouche fierté: « Je ne me sens pas comme les autres » , chante Sinéad, et de fait elle ne l’est pas.
« Feel so different » est une chanson confession, un aveu de faiblesse et de détresse, autant qu’un manifeste fier et bravache: étonnant, convaincant, superbe et bouleversant mélange… Surtout pour moi qui, comme Sinéad, ai l’impression d’avoir traversé quelques ténèbres ces dernières années, et d’en être ressorti très différent. Avec des cicatrices profondes, une vulnérabilité toujours aussi immense et douloureuse, mais beaucoup de soulagement, et même un sentiment de libération d’autant plus marquant que je n’y croyais plus guère (« I have not seen freedom before / and I did not expect to » ).
« Feel so different » est le genre de chanson qui me donne envie de remercier et de serrer dans mes bras la personne qui la chante. Ce n’est pas si fréquent, et ça fait du bien.
« I thought that nothing would change me »