J’avais dix-huit ans quand est sorti le premier album de Tracy Chapman, et je me souviens avoir été marqué par cette auteure-compositrice originaire de l’Ohio. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de jeunes femmes noires parmi les artistes dont les chansons passaient sur les radios grand public, et son style était aux antipodes des synthés et des boîtes à rythme caractéristiques des années 80, alors forcément elle ne passait pas inaperçue.
Je n’ai pas réécouté ce premier album depuis que je n’ai plus de quoi lire la cassette audio sur laquelle je l’avais enregistré. Mais récemment j’ai redécouvert « Fast car », et j’ai trouvé que c’est une sacrée chanson, tout aussi politique peut-être que « Talkin’ ’bout a revolution », mais de façon plus subtile, et à mon avis autrement plus puissante.
Le texte de « Fast car » fait le récit sobre et désolé de la vie difficile, pauvre et frustrante que mène une jeune américaine, depuis le divorce de ses parents, le temps consacré à s’occuper d’un père alcoolique, l’impossibilité de prolonger ses études, le choix de changer de ville avec son homme pour essayer de prendre un nouveau départ (« I want a ticket to anywhere / (…) Any place is better« )… Malheureusement il s’avère que ce compagnon, lui aussi, est alcoolique et incapable de prendre un travail et d’assumer son nouveau statut de père de famille.
Alors cette narratrice lui demande de la laisser vivre sa vie, de la libérer du poids que représentent les hommes sur ses épaules, en s’éloignant dans sa voiture de sport. Celle-ci a symbolisé l’espoir en une vie meilleure (« So I remember when we were driving, driving in your car / (…) I had a feeling I could be someone, be someone, be someone ». Et finalement c’est bien à cela qu’elle servira, cette voiture, puisqu’elle emmène au loin cet homme qui l’empêche de vivre la vie simple, honnête et à peu près heureuse qu’elle a fini par se construire.
Ce songwriting est magnifié par une musique dans la plus pure tradition du folk. Les couplets, lents et lancinants, avec une boucle de guitare sèche qui revient inlassablement, tel un sample acoustique, soulignent le caractère morne et harassant de la vie que mène cette jeune femme, la succession de déceptions qui la plombent et la clouent au sol.
Il faut attendre trois couplets et demi, et deux minutes, pour que l’espoir puisse enfin s’exprimer dans un refrain plus aérien et énergique. Ce refrain reviendra un peu plus tard, après d’autres couplets tout aussi désabusés.
« Fast car » est une chanson magnifique, à la fois vibrante, intense, mais aussi bienveillante et pacifique. Aussi mélancolique que joyeuse, aussi profonde que légère, aussi désabusée que libératrice. C’est la chanson d’une femme qui sent qu’elle a trop mal vécu, et qui a le courage de faire le nécessaire pour vivre mieux, quoi qu’il lui en coûte. On a juste envie de lui souhaiter le meilleur.
« You got a fast car
Is it fast enough so you can fly away? »