France Gall – « Si maman si »

Il y a quelques années, alors que je commençais à peine à émerger d’une dépression dévastatrice, j’étais tombé au détour d’une lecture sur cette phrase qui m’avait collé comme un pain dans l’estomac: « La vie ne ressemble alors qu’à une maigre survivance » .

À quoi rime-t-elle en effet, cette vie, si l’on se sent éteint et vidé, si l’on est taraudé par des questions lancinantes (« Pourquoi je m’astreins à des tâches qui me harassent, pourquoi je me plie à des règles de vie ou à des habitudes qui me font du mal, pourquoi je reste dans cette relation où je ne m’épanouis plus? » ), et si l’on cherche en vain des réponses à des interrogations existentielles (« Qu’est-ce que j’aime réellement faire, à quoi je voudrais passer mes journées, où et avec qui je voudrais vivre, à quoi je sers et quelle trace je voudrais laisser de mon passage sur cette Terre, comment mettre davantage de sens dans mes journées et dans mon existence? » )

Ce sentiment de « passer à côté de sa vie » , de ne pas parvenir à savoir ce que l’on ressent et ce que l’on veut profondément, c’est l’un des plus désagréables et des plus frustrants qui soient.

Je me souviens qu’après avoir posé mon livre pour y réfléchir quelques instants, j’avais pensé à deux choses.

La première, c’est le merveilleux « Livre de l’intranquillité » du grand poète portugais Fernando Pessoa, dans lequel il exprime ce spleen dans deux phrases à la fois cliniques et désespérantes: « J’ai passé ces derniers mois à passer ces derniers mois. Rien d’autre, un mur d’ennui surmonté de tessons de colère » .

La deuxième, c’est cette chanson de France Gall, sortie en 1977, en pleine vague disco. Écrite et mise en musique par son compagnon Michel Berger, « Si maman si » décrit la vie morne, monotone et vaine d’une jeune femme qui se sent seule et sans joie véritable, « sans chaos ni sentiment » , le désir désactivé (« Mes envies s’éteignent, je leur tourne le dos » ), incapable de trouver sa place ni dans le monde ni parmi les autres, trop cafardeuse et trop inhibée pour saisir les occasions de joie quand elles se présentent, en perpétuelle attente d’un bonheur qui « passera peut-être / sans que je sache le reconnaître » … Une femme dont le seul projet est de « continuer » , comme si ça avait un quelconque sens de faire durer une telle vie un peu plus longtemps.

France Gall chante tout cela d’une voix pleine de lassitude, comme anesthésiée. On dirait qu’elle a juste assez de force pour essayer de tenir à distance ses émotions douloureuses, sans arriver tout à fait à les désactiver. Les thérapeutes appellent cela l’évitement émotionnel, et même si ça paraît une mesure de sauvegarde à court terme, sur la durée c’est la meilleure des choses à faire pour rester englué dans le marasme… Mais comme affronter bien en face et le regard clair ses émotions les plus violentes paraît toujours effroyable, il arrive, malheureusement trop souvent, qu’on ne se sente guère capable d’autre chose.

C’est pour cela sans doute que cette chanson, encore aujourd’hui, parle à tant de gens au coeur gris et las, épuisés de vivre éloignés d’eux-mêmes et de tenir en permanence la face, qui se traînent comme une âme en peine, mais qui au plus profond ne rêvent peut-être que d’une chose: enfouir leur tête dans les bras de leur maman et pleurer un bon coup, comme lorsqu’elle avait le pouvoir magique d’effacer leurs chagrins de bambin d’un trait de plume, d’un baiser sur le front et d’une caresse sur la joue.

« Si, maman, si

Si, maman, si

Maman, si tu voyais ma vie

Je pleure comme je ris

Si, maman, si

Mais mon avenir reste gris

Et mon cœur aussi »

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