Jean-Louis Murat – « Si je devais manquer de toi »

Après quelques enregistrements encore malhabiles chez EMI, Jean-Louis Murat signe chez Virgin et sort en 1989 le premier d’une série de cinq albums de (très très) haute volée, « Cheyenne autumn » .

À l’époque j’en ai lu une courte mais excellente critique dans le numéro spécial cadeaux de fin d’année de Télérama. Quelques années plus tard, un jour où je déambulais dans les rayons de la FNAC, je me suis souvenu de cette chronique en voyant la pochette, sur laquelle un Murat au beau visage juvénile évoque un Rimbaud contemporain, et je me suis laissé tenter par quelques-uns des titres de chansons qui flattaient mon côté fleur bleue très prononcé.

Ce titre-là, notamment.

À cette époque, je vivais depuis plusieurs années une histoire d’amour qui aurait pu me rendre tout à fait heureux pour toute une vie, si seulement j’avais été un peu plus sûr de moi et un peu moins anxieux de vérifier si elle m’aimait toujours autant. Sans savoir du tout ce qu’il y aurait derrière, ce titre, « Si je devais manquer de toi » , il me faisait déjà frissonner, tant j’appréhendais comme un drame le fait que cette jeune fille se lasse et me laisse – ce qui a fini par arriver, bien entendu. Il faut bien du temps pour apprendre à apprivoiser ses angoisses…

Mais je reviens à Murat.

En écoutant cette chanson une fois rentré chez moi, j’ai découvert une pépite au romantisme enflammé, enregistrée dans un format pop et chantée par une voix quelque peu douloureuse, avec une batterie soyeuse, des boîtes à rythmes, des claviers atmosphériques, un solo d’harmonica plein d’entrain et un refrain extrêmement dansant, implacablement accrocheur « comme un matador, un tyran » . Bref, un single imparable, à la production un peu variétés, et qui glisse dans les oreilles comme dans de la soie.

Pour ce qui est du texte, je n’avais pas non plus été déçu, car il y avait là tout ce qui pouvait plaire à un garçon sensible comme je l’étais alors: l’angoisse du désespoir amoureux (« Et garde-moi si tu m’aimes, / mais si tu doutes oublie-moi » ), un soupçon de sensualité (« Guidé par l’odeur des chevaux, / je viens me glisser sous ta peau » ), et surtout une manière que je trouvais très troublante, très belle et très touchante de décrire l’être aimé (« Mon vague à l’âme, mon poisson-chat, / ma tendre espionne, ma passion, / toi l’encolure de mes chansons » ).

Un chroniqueur a écrit qu’avec cette chanson, Jean-Louis Murat, 35 ans bien tapés et las de ne pas obtenir la reconnaissance qu’il estimait mériter, a mis la main à la culotte pour ferrer un public de midinettes. Cela me paraît bien sévère, d’autant que sur le même album figure un monument beaucoup plus ambitieux comme « Le troupeau » . Personnellement, j’aimais autant dans cet album le Yin que le Yang, la pop sucrée que la chanson grave, planante et bouleversante. Aujourd’hui mon coeur penche beaucoup plus du côté du Yang, vers lequel Murat s’est dirigé dans ses albums suivants. Mais en écoutant « Si je devais manquer de toi » , je prends toujours le même plaisir et je ressens toujours ce même frisson.

Si seulement la variété et les chansons d’amour « pour midinettes » pouvaient toutes avoir cette qualité et ce charme!

« Si je devais manquer de toi,

autant me priver pour toujours

des bords de Loire au point du jour,

de la douceur de ton amour »

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