Sean Baker – « The Florida project »

Sorti en 2017, « The Florida project », de Sean Baker, raconte l’histoire dramatique d’un couple infernal formé par une jeune femme paumée (Halley) et sa petite fille de six ans (Moonee), qui vivent à temps plein dans un motel un peu miteux installé juste à côté de Disneyland. Toutes les deux sont aussi ingérables l’une que l’autre, aussi incapables de contrôler leurs émotions, de respecter la moindre règle sociale et de tenir compte des intérêts et des besoins des autres, voire de leur simple existence. La vie de Moonee se résume à faire les quatre cents coups, à insulter les voisins, à faire chier le monde, à foutre le feu à une maison inoccupée, en profitant du fait que sa mère ne la surveille pas, occupée qu’elle est à se livrer à des trafics douteux pour gagner de quoi finir tant bien que mal la semaine.

Ce film, qui a été décrit par certains comme « néo-réaliste », a bien sûr un côté poignant, car c’est à une tragédie que l’on assiste: on se doute bien que ça va mal tourner, et il y a toutes les raisons de se sentir écoeuré par cette société qui a poussé Halley à se démener pour ne pas sombrer encore plus dans la précarité sociale, et même à se prostituer, alors qu’au départ elle a perdu son emploi justement pour l’avoir refusé.

Bien sûr que cette jeune mère est victime. Mais j’ai quand même ressenti un certain malaise, tout au long du film, à la voir totalement enfermée dans son attitude rebelle, incapable de communiquer sur un autre mode que celui de la moquerie, du conflit ou de l’agression – sauf avec sa fille, dont elle est en fait plus la BFF que la mère.

Et j’ai repensé à un concept issu de l’analyse transactionnelle, celui d' »enfant rebelle ». Celui-ci est une partie de notre personnalité qui, lorsqu’elle est soumise à une pression extérieure ressentie difficilement (une norme sociale, un ordre, un conseil…), réagit immédiatement et systématiquement en se cabrant, que ce soit de façon violente ou de façon passive-agressive. Les comportements typiques de l’enfant rebelle, ce sont dire non avant même de savoir ce qu’on lui propose, provoquer, contredire systématiquement, saboter le travail et les réussites des autres, faire par principe le contraire de ce que les autres attendent de lui – autant d’attitudes infantiles et tyranniques, que pour ma part j’ai assez de mal à supporter. Et pourtant j’ai en général de l’empathie pour les personnes qui sont cloîtrées dans ce genre de prison intérieure, car c’est bien de cela qu’il s’agit: elles sont à ce point gouvernées par leur refus de se plier à la moindre contrainte qu’elles ne parviennent pas à se rendre compte que très souvent, cette attitude les amène à se punir elles-mêmes, à refuser des offres qui leur conviendraient, à saboter des relations épanouissantes (dans le film par exemple, Halley se brouille avec sa seule amie, qu’elle traite de salope, et elle épuise le gardien du motel – William Defoe, épatant comme d’habitude – qui pourtant n’a de cesse de la protéger et de rattraper ses frasques)…

En général, les rebelles sont considérés comme des gens libres et ils se flattent de l’être, mais à mon avis c’est très souvent faux. Quand on est libre, on est libre de se rebeller quand c’est nécessaire (et c’est très souvent nécessaire, bien sûr!), mais on est aussi libre d’accepter ce qu’on nous offre si on en a envie et si ça nous arrange, on est aussi libre de profiter des occasions, ou de refuser sans pour autant s’irriter. L’enfant rebelle, lui (et la partie enfant rebelle qui vit encore en chaque adulte), est incapable d’accepter l’idée qu’il est dépendant de qui que ce soit, et c’est pourquoi lorsqu’il ressent la moindre pression venant d’autrui, il se sent contraint de résister et de combattre – comme le font Halley et Moonee dans « The Florida project », avec force injures et doigts d’honneur, voire en tabassant une ex meilleure amie.

Bref, la rébellion est très souvent utile et même indispensable. Mais quand elle est une réaction instinctive et à laquelle on ne peut pas éviter de se soumettre, je trouve qu’elle peut être aussi mauvaise conseillère que la peur.

Ou pour le dire comme Arcade fire, dans une chanson monumentale et enthousiasmante que je partagerai demain soir, « Rebellion lies« .

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