Roxy Music – « Jealous guy »

Bien qu’aimant beaucoup les Beatles, je suis rarement tout à fait emballé par les compositions des membres du Fab Four une fois qu’ils ont développé leurs projets solo. C’est notamment le cas pour John Lennon, dont je trouve même « Imagine » franchement mièvre.

Mais cette chanson fait partie des exceptions.

« Jealous guy » a été composée et répétée alors que les Beatles n’étaient pas encore séparés, mais les premiers enregistrements n’ont finalement pas été repris sur leur dernier album. Une fois lancé dans une carrière solo, John Lennon en a gardé la mélodie et changé le thème et les paroles, pour en faire une supplique à Yoko Ono.

De prime abord, c’est une chanson dans laquelle un homme rejoue le thème éternel du « Oh chérie je suis désolé de t’avoir fait du mal, ne m’en veux pas s’il te plaît » (« I didn’t mean to hurt you / I’m sorry that I made you cry » ). Il demande pardon pour son comportement, mais dans le même temps il se justifie d’une façon assez convenue: « Comprends-tu, je ne suis qu’un pauvre type qui s’est laissé emporter par la jalousie. » À la place de la femme à qui ces mots sont adressés, je n’aurais pas forcément très envie d’y croire.

Quelques années plus tard, John Lennon a fourni une explication d’un texte qu’il juge lui-même très transparent: « J’étais un mec très jaloux et très possessif. Un mâle qui n’est pas sûr de lui. Un mec qui voulait mettre sa femme dans une petite boite qu’il fermerait à clef et qui la laisserait sortir uniquement quand il sent le besoin de jouer avec elle. Elle ne serait pas autorisée de communiquer avec le monde extérieur – mis à part moi – parce que ça me ferait sentir insécurisé. »

Cet extrait d’interview souligne ce qui me touche dans cette chanson: John Lennon s’y dévoile comme vulnérable en chantant d’une voix désarmée des mots tout simples, et même ingénus, qui laissent voir que son comportement jaloux provient de blessures profondes et lointaines. « I was feeling insecure / You might not love me anymore / I was shivering inside (…) I was swallowing my pain » . Par ces mots-là, bien plus forts que le reste du texte, au lieu de se défendre et de se protéger, il s’ouvre et s’expose. C’est ce qui m’émeut, car c’est sur ce chemin que je suis aujourd’hui engagé.

En décembre 1980, alors que John Lennon vient juste d’être assassiné dans une rue de New York, Brian Ferry et son groupe Roxy Music lui rendent hommage en reprenant à leur tour « Jealous guy » . On ne parlait pas encore à l’époque de « virilité toxique » et de « mâles déconstruits » , mais c’est un peu de cela qu’il s’agit ici: un homme assume humblement sa fragilité, il dégrafe l’armure, et de ce fait il se libère. Masculinité tranquille?

Cette reprise est légèrement plus rapide que la version originale, et surtout elle est beaucoup plus orchestrée, et même lyrique. Alors que John Lennon chantait sa confession dans un souffle, avec une pudeur un peu inquiète, comme s’il craignait la réaction de sa compagne, et plus encore peut-être celle de son entourage et de la société, Brian Ferry y va sans complexe, d’un pas tranquille et assuré, le coeur totalement ouvert, manière de dire « C’est comme ça que j’étais, c’est comme ça que je suis maintenant. »

Cette version est un vrai chef d’oeuvre, que j’aime notamment pour les quatre solos qui en reprennent la belle mélodie: la guitare à 1’50, le saxophone à 2’14, le synthé à 3’50… et surtout le sifflement délicat et aérien à 3’26.

Combien de musiciens ont été et sont jaloux d’une telle chanson?

[Accessoirement, à 35 ans tout pile à la sortie de cette reprise, Brian Ferry est un sacré sex symbol avec sa mèche rebelle, ses yeux bleu intenses, son costume clair et sa cravate rose. L’illustration parfaite du dandysme chic et de l’élégance à l’anglaise. J’en connais qui vont craquer en découvrant ce clip 😉]

« I was feeling insecure

You might not love me anymore

I was shivering inside »

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