Gérard Manset – « Y’a une route »

En 1975, Gérard Manset publie un album mythique aux yeux de beaucoup de ses admirateurs, pour la profusion de merveilles qu’il contient (à commencer par « Il voyage en solitaire »), ainsi que pour sa pochette superbe et mystérieuse (le chanteur ombrageux y est photographié de dos, vêtu d’un long imperméable noir, marchant sur un quai entre deux voies à l’entrée d’une gare).

Cet album n’a pas de titre, aussi les fans ont pris l’habitude de l’appeler « Manset 1975 » , ou « Y’a une route » puisque c’est par cette chanson que s’ouvre le disque.

Et quelle claque!

« Y’a une route » est une ballade rythmée et chaloupée, scandée par le piano, par une guitare acoustique qui tournoie inlassablement, par quelques cordes, par diverses percussions (dont une qui revient tous les quatre temps et qui évoque une goutte d’eau tombant d’une stalagtite)… À partir de 3’05, la fin quasi instrumentale se met à swinguer de façon invincible, comme pour inviter souplement l’auditeur à mettre son corps en mouvement.

Il faut dire que cette chanson est une invitation au voyage – pas à la transhumance aérienne ou bitumineuse des touristes qui rejoignent en avion ou en SUV une location ou un club de vacances où leur séjour sera pépère et bien encadré, mais au nomadisme improvisé des routards, des randonneurs, des cyclotouristes, des auto-stoppeurs…

« Y a une route. / Tu la prends. Qu’est-ce que ça t’coûte? » Gérard Manset invite à sortir de sa torpeur, à s’arracher à la pesanteur des habitudes et à partir à l’aventure, en choisissant les chemins au petit bonheur la chance, au gré des envies, à l’instinct. Dans « Sur la vanité » , Montaigne, un autre amoureux du voyage, a dit cela superbement et tranquillement: « S’il ne fait pas beau à droite, je prends à gauche; si je me trouve peu apte à monter à cheval, je m’arrête. (…) Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi? J’y retourne; c’est toujours mon chemin. Je ne trace [à l’avance] aucune ligne déterminée, ni droite ni courbe » . C’est cet état d’esprit que décrit ici Manset: ne pas faire de plans, se laisser porter, être prêt à saisir les opportunités et à suivre ses envies.

Bien sûr, le voyage vers l’inconnu (qui est manifestement ici une métaphore de la vie) ne sera pas toujours de tout repos, il sera parfois même dangereux, on croisera peut-être « des oiseaux aux yeux malades » ou « une fumée qui fait peur » . Mais Gérard Manset décrit avec une étonnante puissance poétique les merveilles et les surprises qui attendent l’explorateur le long du chemin (« un chien qui court / la tête entre les mains » , « des marronniers sauvages / qui jettent leurs fruits plein l’paysage » , « des champignons qui poussent / et qui font la neige et la mousse » …

Il paraît que Gérard Manset a dit un jour dans une interview qu’il ne supporte pas qu’on critique sa musique, car à son avis elle est parfaite. Habituellement, je déteste cette raideur, cette prétention et cette incapacité à la remise en question. J’imagine assez Manset comme un type assez imbuvable dans la vraie vie. Mais quand j’écoute « Y’a une route » , j’ai tendance à me dire qu’il a raison: cette chanson est réellement parfaite.

« Y a une route. C’est mieux que rien.

Sous tes semelles c’est dur et ça tient. »

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