Kavinsky – « Nightcall »

Ce morceau puissant et hypnotique est le fruit d’une collaboration entre deux personnalités phares de la French touch, Kavinsky et Guy-Manuel Homen-Christo (l’un des deux motards de Daft Punk), qui pour l’occasion se sont aussi acoquinés avec Xavier de Rosnay (du groupe Justice) et avec Sébastien Tellier.

« Nightcall » est surtout connue pour être utilisée dans l’une des premières scènes du film « Drive ». Après une poursuite nocturne dans les rues de Los Angeles, les crédits du générique commencent à s’afficher dans une typographie rose, sur des images de Ryan Gosling rentrant peinard à la maison après avoir semé les flics, comme dans NFS Most wanted (un de mes jeux de console préférés). À ce moment, les plans, la photo et l’éclairage sont totalement éclipsés par un morceau qui, soudain, occupe à lui seul tout l’espace.

La rencontre entre cette chanson et ce film s’est faite par hasard: alors qu’il était en train de travailler sur « Drive », le réalisateur Nicolas Winding Refn l’a entendue à la radio en se rendant sur le tournage. Happé par son atmosphère vénéneuse et envoûtante, il a tout de suite contacté le label de Kavinsky pour lui demander de l’utiliser, ce qui fut accepté avec empressement.

« Drive », c’est un film romantique et sombre qui raconte « une histoire d’amour désespérée sur fond de grand banditisme et de grisante vitesse« . On y voit des voitures puissantes qui sillonnent les rues de Los Angeles, au pas ou à tombeau ouvert, le plus souvent la nuit, avec au volant ou à l’arrière des mafieux, des tueurs à gages, et une jeune femme innocente mais embarquée malgré elle dans un tourbillon funeste, comme d’ailleurs « le conducteur ». Mais si les acteurs et les actrices sont on ne peut plus bankables, les vraies stars de « Drive », ce sont les voitures. Les caisses. Les bagnoles.

Comme l’a dit Emmanuel Macron il y a quelques mois, en France « on aime la bagnole« . Cela surprendra peut-être quelques-un(e)s, mais je dois confesser que « la bagnole, moi [aussi], je l’adore« . Quand j’étais gosse, je me disais parfois que j’avais envie de « dessiner des voitures » pour Renault (à l’époque mes parents avaient une 4L et une R6, ceci explique cela…). Quand j’étais ado et jeune adulte, je regardais souvent la Formule1 et j’étais très fan d’Ayrton Senna (je me souviens avoir vécu sa mort en direct…). Aujourd’hui j’aime conduire, j’aime la sensation d’être dans une sorte de salon feutré qui glisse dans l’espace, j’aime écouter de la musique avec les vitres ouvertes en été…

Mais j’ai découvert les enjeux écologiques, puis climatiques. J’ai compris qu’on ne peut pas faire tout cela sans impact délétère sur le vivant et sans hypothéquer l’avenir. J’ai compris aussi tout ce qu’il y a de profondément machiste dans la culture de la bagnole. Shit…

Alors depuis longtemps, le plaisir de conduire fait partie de ceux auxquels j’ai plus ou moins renoncé : je n’ai pas de voiture (y compris depuis que je vis en pleine campagne), et je ne me déplace quasiment qu’en train, à pied et à vélo, sauf à de rares exceptions (par exemple lorsque je loue une voiture pour une semaine en Écosse avec mes enfants…)

Quoi qu’il en soit, ce film et cette chanson suscitent beaucoup d’excitation de la part des excités du volant. Sur YouTube, on peut par exemple lire ce commentaire quasi amoureux, liké 67.000 fois (!) à ce jour: « One day I promised myself that this would be my first music played in my first car. Today is the day. »

Si « Nightcall » a été intégré à « Drive », c’est parce que l’univers de la chanson est peu ou prou le même que celui que Nicolas Winding Refn voulait mettre en place dans son film. La chanson évoque de façon allusive l’histoire d’un homme mort (ou que tout le monde croyait mort), qui revient à la vie et qui passe son premier coup de fil à une femme qu’on suppose être son amoureuse ou son ex, en pleine nuit (« I give you a nightcall to tell you how I feel« ).

L’ambiance musicale de « Nightcall » est tout aussi lourde, lente, noire, pesante et oppressante que celle de « Drive ». La chanson est annoncée par des cliquetis et par un hurlement de loup, elle démarre par une boucle de synthé froide et distante et par des gimmicks électro menaçants, et les couplets sont chantés par une voix de robot nicotinée, trafiquée, caverneuse, monstrueuse, aussi flippante qu’un junkie défoncé que l’on rencontrerait en pleine nuit avec un couteau ensanglanté à la main. Les refrains, en revanche, sont lumineux, chantés par la voix suave de Lovefoxxx, la chanteuse brésilienne du groupe électro-rock CSS (Cansei de Ser Sexy), tandis que la boucle de synthé monte dans les aigus et se fait plus cheap. Le contraste entre ces deux atmosphères, comme un run de dragster qui se ferait au ralenti, font de « Nightcall » un morceau terriblement mélancolique et envoûtant, qui captive et capture l’auditeur aussi implacablement que l’étoile de la mort aspire en elle le vaisseau de Leïa dans les scènes initiales de Star Wars IV.

Mais quand on écoute bien les paroles de ce refrain, on se rend compte que même si la musique s’y fait sensuelle, la noirceur demeure, étouffante, écrasante. Ce que dit en effet cette jeune femme au loup solitaire qui vient de l’appeler en pleine nuit, c’est « Tu n’as pas changé ».

Et de fait, bien des hommes qui prétendent avoir changé n’ont en fait que maquillé leur comportement, tout en gardant la même personnalité. C’est que changer, changer vraiment, cela prend du temps, beaucoup de temps, et cela demande des efforts, beaucoup d’efforts. Et même quand on croit s’être extirpé de la gangue dans laquelle on était englué, on n’est jamais à l’abri d’une rechute…

« There’s something inside you,

it’s hard to explain

They’re talking about you, boy,

but you’re still the same »

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