Jean-Louis Murat – « Fort Alamo »

« Qu’il est dur de défaire / J’en reste KO« : c’est par ces mots que s’ouvre le quatrième des merveilleux albums publiés par Jean-Louis Murat chez Virgin (« Dolorès », 1996). Dans l’album précédent, la chanson d’ouverture, « Tout est dit » , comportait déjà cette sentence définitive: « La promesse de durer / est une mauvaise idée » . Et dans celui d’encore avant, l’une des plus belles chansons de l’auvergnat, « Le lien défait » , abordait le même thème.

On dirait bien que Jean-Louis Murat triture et ressasse de façon obsessionnelle le thème de la rupture amoureuse. Je ne connais pas trop sa vie, mais sachant son caractère pour le moins difficile et même ombrageux, je suppose qu’il a été souvent quitté, et qu’il a souvent fait plus ou moins ce qu’il fallait pour que ça arrive. Quand on sait qu’il n’a pas été élevé par ses parents (il a grandi dans la ferme des ses grands-parents), il y a peut-être ici une clé pour comprendre sa personnalité et ses textes: l’angoisse d’abandon, l’insécurité affective qu’elle marque, viennent souvent du fait d’avoir vécu dans l’enfance une expérience traumatisante (un amour parental conditionnel, le départ d’un parent – ou la menace de son départ –, un parent instable affectivement, un placement…)

Quoi qu’il en soit, lorsque Jean-Louis Murat a été quitté, il en est resté dévasté, et cette chanson en témoigne de façon pour le moins spectaculaire. Certaines formules visent à donner le change et à exprimer sa douleur de façon un peu distante, en tous cas de façon présentable (« Voilà donc la disgrâce » ). Mais d’autres puent très fort la dépression (« Je suis dans l’espace, / un temple de glace, / je n’aime plus rien du tout / Malgré les menaces,/ comme tout me lasse,/ je m’en fous » ). Un peu plus loin, Murat descend encore d’un cran et il se dépeint lui-même en homme brisé, totalement dégoûté de l’existence, incapable de seulement respecter l’hygiène la plus élémentaire (« Je vis dans la crasse, / je suis dégueulasse, / et alors? » ) Il paraît que cette dernière phrase n’a rien d’imaginaire: lorsque Murat avait été plaqué par sa compagne Marie Audigier après plus de dix ans de vie commune, il s’amusait à lancer avec l’un des musiciens un concours pour atteindre la plus longue période sans se laver les cheveux. Offrir ainsi de soi l’image d’un loser n’est peut-être pas le meilleur moyen de rebondir, mais manifestement il n’en avait pas grand-chose à branler.

Bref, « Fort Alamo » est la chanson d’une reddition: assiégé, épuisé, le chanteur ouvre grand les portes et laisse entrer en lui la souffrance et la rumination. Ce n’est même pas un moribond qui chante, c’est carrément un mort-vivant. Comme Murat le dit lui-même dans un vers curieux et troublant, « le chien de l’espace / dans la glace / n’aboiera plus / oh hou hou hou hou hou » . Dans « Le môme éternel » , il chante aussi ces mots surprenants dans lesquels il mentionne son propre prénom: « Chut, pas de bruit / sur la mort de Jean-Louis. »

Lorsque l’album « Dolores » est sorti en 1996, je venais tout juste de retrouver l’amour après une rupture dévastatrice quelques mois plus tôt. Lorsque j’écoutais cette chanson, le plaisir que je ressentais avait quelque chose d’un peu masochiste, puisqu’il me ramenait à une période dont je me souvenais encore avec effroi. J’imagine que pour les personnes qui ont découvert ce disque pile au moment où elles venaient de se faire plaquer, l’écoute de « Fort Alamo » a carrément pris l’allure d’une opération à coeur ouvert et sans anesthésie.

Quand on est dans un tel marasme, dans une telle souffrance, où est la solution? Tenter de trouver des occasions de plaisir ailleurs, essayer de maintenir son estime de soi dans les autres dimensions de sa vie (les relations amicales, le travail, l’engagement associatif…).

Et aussi, sans doute, garder espoir dans le fait que l’amour pourra revenir. Freud a dit beaucoup de (très) grosses conneries, mais il a aussi eu quelques fortes formules, telles que celle-ci: « Nous ne savons pas renoncer à une source de plaisir, nous ne savons que l’échanger contre une autre. » C’est un peu cela qu’espérait Murat, peut-être, lorsqu’il a écrit le joyau de ce disque, « Perce-neige » (un morceau que j’ai partagé dans une version live absolument extraordinaire): au coeur de l’hiver, le printemps se prépare déjà, et on en voit même les prémices qui craquellent la poudreuse ou qui pointent sous les névés fondants.

Certes, c’est angoissant de repartir de zéro et de bâtir une nouvelle relation avec quelqu’un d’autre: qu’il est dur de refaire…

Mais si le rebond est arrivé une fois, pourquoi ne pourrait-il pas se reproduire?

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