The Cure – « Play for today »

« On peut écouter de la musique pour toutes sortes de raisons. Par exemple pour se faire plaisir et danser. Mais un groupe qui est là pour nous quand on touche le fond… on l’aimera toujours. » (Simon Price, journaliste musical et auteur d’un dictionnaire amoureux du groupe anglais paru en 2023, Curepedia)

Les premiers albums de The Cure, et notamment ceux qui composent sa trilogie gothique (« Seventeen seconds » / « Faith » / « Pornography » ), sont dominés par des tonalités froides (ce pour quoi on parle aussi de cold wave), sombres, oppressantes, parfois glauques et claustrophobes. La musique obéit ici à une stricte économie avec des rythmes le plus souvent très lents, les textes sont d’une noirceur nauséeuse et torturée, la voix de Robert Smith est plaintive, écorchée et lointaine. Sur « All cats are grey » , peut-être ma chanson préférée de The Cure, la batterie métronomique et le chant sans affect donnent l’impression que l’enregistrement provient d’outre-tombe.

Tout cela donne une impression de fatalité, une atmosphère désespérée et désespérante, mais peut-être rassurante aussi (si ça se trouve, la mort est une expérience paisible et libératrice?). La musique de The Cure était à l’époque la quintessence du romantisme, ce qui signifie si souvent auto-sabotage, auto-destruction, dégoût de soi et de la vie. Certains ont même parlé de sado-gothique, un genre dans lequel on magnifie l’auto-crucifixion avec un délice morbide. Bref, s’il y a pléthore de padawans en mélancolie (autant que d’adolescents peut-être), The Cure est leur maître Yoda.

Tout cela était précisément ce qu’il fallait pour plaire et complaire à l’ado timide, complexé et mal dans sa peau que j’étais lorsque j’ai découvert ces albums, au milieu des années 80. J’aimais me laisser entraîner dans cet univers mystérieux et étouffant, comme une victime consentante d’une emprise hypnotique. The Cure première période emmène chacun de ses auditeurs dans une sorte de brouillard auditif, pour l’y perdre: c’est exactement cela que j’ai vécu à partir de mes quinze ans.

« Play for today » figure sur le second opus des Cure, « Seventeen seconds » , paru en 1980.

Sur cet album épuré et hanté de fantômes, les guitares électriques ont une sonorité nette et froide, la basse de Simon Gallup est omniprésente et massive et fait parfois planer comme une menace sourde, la batterie de Lol Tolhurst est sèche et presque désincarnée comme une boîte à rythme, mais ça et là les claviers dessinent de longues plages douces et sinueuses – une marque de douceur ouatée et bienvenue.

« Play for today » est une chanson magistrale qui tranche avec le reste de l’album par sa vivacité. Après quelques fioritures dans l’intro, la basse, puis la guitare électrique, sont utilisées quasiment en rythmique et courent à perdre haleine, tandis que la voix et le synthé proposent l’essentiel de la ligne mélodique.

Si cette chanson est empreinte de fierté farouche, ce n’est pas seulement pour la musique, ou pour le clip dans lequel on est surpris de trouver un Robert Smith aux cheveux courts mais au regard arrogant. Dans le texte par ailleurs désolé, il y a quelques mots qui me touchent particulièrement: « And deserve the reward / to hold you in my arms » . En dépit de tout le mal que Robert Smith, alors âgé de vingt ans seulement, pense de lui-même, il y a quand même une partie de lui qui estime qu’il mérite de l’amour et de l’affection… C’est aussi ce que je croyais à l’époque: je me vivais le plus souvent comme indigne d’être aimé, mais il y avait quand même une partie de moi qui gémissait que c’était profondément injuste, et qu’en réalité si, j’y avais droit comme tout un chacun. Cette partie de moi, je regrette amèrement de ne pas l’avoir assez écoutée, jusqu’à il y a peu. Mais c’est une autre histoire.

La musique des années 80 a vraiment très mal vieilli, je trouve, notamment celle qui avait beaucoup de succès à l’époque. Mais avec The Cure, et tout spécialement avec ce morceau, c’est tout le contraire: non seulement ça n’a pas pris une ride, mais 45 ans plus tard, c’est et ça reste une musique pour aujourd’hui.

« And wait

And wait

And wait

for something to happen »

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