ABBA – « Dancing queen »

Beaucoup de mes amis, et surtout de mes amies, adorent ABBA.

Pour ma part j’avoue que je ne suis pas fan. Mais il y a quelques années, j’ai vu par hasard une vidéo dans laquelle Bono, au milieu d’un concert de U2 à Stockholm en 1992, a rendu hommage au groupe suédois en invitant sur scène deux de ses membres (Benny Andersson et Björn Ulvaeus), pour reprendre ensemble « Dancing queen » . Dans une autre vidéo, que je n’arrive plus à retrouver, j’avais aussi vu Bono rendre un vibrant hommage à ABBA lors d’un concert, à la fin d’une reprise de « Dancing queen » , en s’exclamant « On vous doit tout ! »

Par la suite, j’ai essayé plusieurs fois d’écouter la compilation que j’ai enregistrée dans ma bibliothèque i-Tunes, mais rien n’y a fait: le disco et ABBA, les pattes d’eph et les costumes orange ou fuchsia avec des chemise à jabot ou en col pelle à tarte, c’est décidément pas trop trop ma came.

Cela dit cette histoire de U2 affichant son enthousiasme pour ABBA sur « Dancing queen » , ça m’a quand même intrigué, alors j’ai écouté pas mal de fois cette chanson… et j’ai fini par l’apprécier vraiment, pour son rythme chaloupé, pour sa mélodie entraînante, pour ses cordes synthétiques qui s’envolent sur les refrains, mais aussi et surtout, surtout, pour sa joie communicative. Et lorsqu’un matin j’ai eu envie d’écrire une chronique sur cette chanson, je me suis dit que pour une fois je me foutais totalement de savoir qui a écrit ça, dans quel contexte et de quoi ça parle, comment c’est instrumenté, quelle leçon de vie on peut éventuellement en tirer: j’avais juste envie de constater que ça me fait du bien d’écouter « Dancing queen » , et d’ajouter que c’est le genre de chanson qui me fera encore plus de bien quand je danserai dessus avec des gens que j’aime (ce jour n’est pas encore arrivé, mais vivement!).

Je dois quand même ajouter que cette histoire m’a donné une bonne leçon.

En commençant à me documenter un peu sur ABBA pour écrire cette chronique sans raconter trop d’âneries, j’ai découvert que dans une interview donnée à la BBC en 2023, Bono a confessé qu’à l’âge de 16 ans, il ressentait tellement la pression pour avoir l’air viril et branché qu’il n’osait pas « admettre » qu’il aimait ce groupe.

Formé à la sociologie, je reconnais bien dans ce genre de phrase la trace des stratégies de distinction dont parlait Pierre Bourdieu, avec à la fois des efforts pour se forcer à apprécier des œuvres qui en réalité nous gavent plus ou moins, et plus encore une sainte horreur pour tout ce qui se rapproche de près ou de loin de la « culture populaire » , comme si c’était un péché de l’apprécier… sauf à exprimer son goût sur le registre du « plaisir coupable » , ce que je trouve assez hypocrite et très condescendant (l’analyse de la condescendance par Bourdieu dans son très bon livre d’entretiens Ce que parler veut dire m’a beaucoup marqué – il y écrit notamment que les « stratégies de condescendance [sont] ces transgressions symboliques de la limite qui permettent d’avoir à la fois les profits de la conformité à la définition et les profits de la transgression » – bim).

Bien des gens (et moi-même je ne suis pas exempt de ce travers) me donnent l’impression d’être scindés en deux, voire carrément clivés, avec une partie d’eux-mêmes qui se vante auprès de leur entourage d’écouter de la musique « légitime » , celle dont il est de bon ton de raffoler (le jazz, le classique, le rock indé, la chanson française « exigeante » , tel ou tel artiste « maudit » …), et une autre partie plus secrète, mais plus sincère, qui crève d’envie de ressortir très souvent des albums de jeunesse ou de faire tourner en boucle des tubes qu’elle écoute avec une émotion innocente.

Commentant cette interview, une journaliste du Guardian a titré « Bono admet enfin aimer Abba. C’est un signe certain de maturité«  . En effet, je crois de plus en plus qu’il y a quelque chose de vain et de ridicule à ne pas admettre tranquillement, humblement, qu’on n’aime pas ce qu’on n’aime pas, et surtout qu’on aime ce qu’on aime, et tant pis si ça déplaît aux snobs – de toutes façons en quoi ça les dérange?

À force d’avoir intériorisé une définition bourgeoise du « bon goût » en matière de culture, je me suis trop longtemps laissé écraser par des diktats ou des veto culturels, par des embargos musicaux auto-imposés.

La vie est déjà bien assez difficile comme ça, il y a déjà bien assez d’occasions de se lamenter ou de s’effrayer (surtout en ce moment), et trop peu d’occasions de s’amuser, alors je suis assez soulagé de me dégager petit à petit de ce snobisme…

Et en tous cas c’est grâce à ce petit travail sur moi que je peux aujourd’hui profiter du plaisir sans mélange de me dandiner en cuisant mes crêpes sur « Dancing queen » , une sacrée bonne chanson.

« Anybody could be that guy

Night is young and the music’s high

With a bit of rock music, everything is fine,

you’re in the mood for a dance »

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