Nous sommes en 1973, et sur leur abum « Goats head soup » (celui sur lequel figure la fameuse ballade « Angie), les Rolling Stones ouvrent cette chanson en décrivant en quelques mots l’histoire d’un garçon abattu par la police dans les rues de New York parce qu’elle l’a confondu avec un autre (« The police in New York City / They chased a boy right through the park, / and in a case of mistaken identity, / they put a bullet through his heart » ).
Toute ressemblance avec les États-Unis d’aujourd’hui, ceux où l’ICE pourchasse les immigrés et où le ministre de la Défense (pardon « de la Guerre »), pour complaire à son malade mental de président, appelle l’armée américaine à se recentrer sur « l’ennemi intérieur », n’est pas imaginaire.
Dans cette chanson, les Stones évoquent aussi la fin tragique d’une gamine de dix ans qui s’est piquée à un coin de rue et qui n’en a pas survécu. Ils déduisaient de ces deux tranches de mort qu’un monde dans lequel de telles horreurs sont possibles devait être combattu : « Heartbreakers with your forty-four, / I want to tear your world apart » .
Cette conviction, ils l’assénaient avec une rage un peu sale comme les notes de guitare électrique qui ouvrent le morceau, une rage distordue comme les kicks de Mick Taylor sur la pédale wah-wah de sa guitare, une rage sauvage et indomptable comme la voix de Mick Jagger, une rage sourde comme la ligne de basse prise par Keith Richards, une rage insaisissable comme les choeurs vaudous qui lancent des « Doo Doo Doo Doo Doo Doooo », une rage survoltée comme la sarabande finale à laquelle participent une ribambelle d’instruments invités (une trompette, un sax…) Beaucoup de critiques et de fans des Stones ont jugé que tout cela sonne moins âpre, moins brut, plus produit, plus léché même, que la quadrilogie fantastique qui avait précédé « Goats head soup » (notamment « Let it bleed » et « Beggar’s banquet »). Peut-être. Mais je trouve que ça claque quand même et que plus la chanson avance, plus elle dégage une énergie folle, féroce et inarrêtable, plus elle sonne comme un appel à la révolte, avec quelques teintes de soul et même de funk qui la rendent assez irrésistible, en tous cas pour moi.
De l’énergie, de la colère : exactement ce dont nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais.
« Heartbreaker, heartbreaker
You stole the love right out of my heart »