Prince fait partie des nombreux monstres sacrés de la musique populaire que je connais très mal et dont je ne suis pas très fan, ceci expliquant cela et vice-versa : comme il n’y a pas beaucoup de morceaux de lui qui m’ont laissé des souvenirs enthousiasmants, je ne l’écoute pas très souvent, et inversement, comme je ne l’écoute pas très souvent, je n’ai pas l’occasion de découvrir son univers musical au-delà des quelques tubes dont j’ai le souvenir. Parfois j’ai essayé : il y a quelques années, j’ai écouté en entier deux fois de suite une de ses compilations, mais en dehors de ses tubes j’avais trouvé ça globalement assez chiant, et j’ai même rangé ce CD en me disant que je ne réécouterais peut-être plus jamais. Même des hits comme « Kiss », avec ses entrechats vocaux et sa voix criarde, me saoulent un peu…
Cela dit, je me suis rendu compte plusieurs fois qu’en rédigeant une chronique sur un artiste ou un groupe dont je n’étais pas familier, j’ai compris ce qu’il avait de grand, parfois même de génial (je pense notamment à David Bowie et aux Rolling Stones). Je savais que je ferais bien de tenter la même expérience avec Prince, que je suis loin de placer parmi mes artistes favoris mais dont j’aime beaucoup plusieurs morceaux (« Sign o the times », « U got the look », « When doves cry », « Purple rain »…).
Est-ce qu’en lisant sur lui, est-ce qu’en écoutant plus attentivement certaines de ses chansons, est-ce qu’en en découvrant de nouvelles, j’allais changer d’avis ? La réponse est oui, en partie.
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Si j’ai toujours eu du mal avec le kid de Minneapolis, cela tient d’abord, je crois, à sa personnalité, ou en tous cas à l’idée que je me fais de lui : j’ai de Prince l’image de quelqu’un de très excentrique et égocentrique, qui n’aime rien tant que se mettre en scène, qui est fasciné par la mode et qui a une fâcheuse tendance à se considérer comme un génie inatteignable par la valetaille. Je me souviens que quand il a décidé de se faire appeler « Love symbol », j’ai trouvé que c’était le comble de la prétention et du ridicule, et que ça frisait carrément l’auto-érotomanie.
Il y a quelques années, j’ai appris une chose qui n’a pas contribué à me redonner envie d’écouter Prince, en tous cas qui n’a pas amélioré l’image que je me faisais de lui : en rédigeant la chronique de « Nothing compares to U » de Sinead O’Connor, j’ai découvert que c’est en fait une reprise de Prince, et en allant écouter la version originale je l’ai trouvée tellement moins bonne, tellement moins charnelle, tellement moins émouvante. J’ai aussi lu que Prince était très réticent à chanter lui-même cette chanson car il trouvait qu’elle ne le mettait pas en valeur, et je me souviens très bien m’être dit alors que décidément ce type ne m’inspirait pas trop. Quelle différence d’attitude avec Sinead qui, elle, a mis dans son interprétation toute sa vulnérabilité et toute son humilité, y compris à la fin de l’enregistrement : son chant avait bouleversé toute l’équipe de production, mais elle a cru qu’ils faisaient une tête d’enterrement parce qu’ils l’avaient trouvée décevante !
Bien sûr, pour un artiste ce n’est pas forcément un mal d’avoir une personnalité très extravertie et même prétentieuse, si cela lui permet d’être audacieusement créatif. De fait, Prince jouait divinement de plusieurs instruments, il avait un talent assez génial pour mixer de nombreux genres musicaux, il était une véritable bête de scène…
Par ailleurs je me doute bien que derrière la façade spectaculaire et dédaigneuse qu’il arborait volontiers, derrière l’accoutrement sorti de nulle part de ses jeunes années (slip zèbre, talons hauts et jambières…), derrière les paroles salaces et les chorégraphies provocantes, bref, derrière ce que Michka Assayas a appelé un « érotisme narcissique » , il y avait, soigneusement cachés, une immense fragilité, peut-être même des complexes dont il essayait de combattre la morsure en se mettant en valeur de façon compulsive. Le délire de grandiosité propre aux fragiles me les rend souvent sympathiques, en tous cas touchants.
Bref, j’ai décidé que j’allais gratter au-delà de mes propres idées préconçues à propos de Prince, j’ai un peu lu sur lui, j’ai écouté des chansons et des bouts d’albums dont je n’avais jamais entendu parler, ainsi que quelques podcast sur sa carrière, et me voilà avec un regard beaucoup plus positif.
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J’ai déjà partagé sur ce site un morceau qui n’est pas de Prince, mais dans lequel il joue de la guitare de façon fantastique, confisquant absolument toute la lumière et rejetant dans l’ombre ses comparses relégués au rang de papys du rock : je veux parler de la reprise de « While my guitar gently sweeps » , enregistrée en live à l’occasion de l’intronisation de George Harrison au Hall of fame du rock’n’roll. C’est alors, en visionnant la performance tout simplement extraordinaire et fascinante de Prince, en constatant sa virtuosité étourdissante et sa capacité à éclipser le monde entier par sa seule présence magnétique, c’est alors que je me suis dit qu’il y avait quand même anguille sous roche et que je ferais bien de me pencher sérieusement sur la carrière ce drôle d’oiseau, au-delà des quelques tubes que j’avais gardés en mémoire.
Cela dit, même après m’être un peu documenté sur lui, je n’ai rien entendu de Prince qui me plaise autant que l’album « Sign o’ the time » sorti en 1989. Je partagerai une autre fois d’autres chansons de ce disque, notamment « The cross » et « Sign o the times », et ce jour là je commenterai, en même temps que ce double album d’une richesse et d’une intensité assez peu communes, l’art de Prince.
Aujourd’hui je me contente de dire quelques mots au sujet de « U got the look », que je partage car ça a toujours été mon morceau préféré de lui, pour son côté électrisant ⚡. J’avais deviné que ça parlait d’amour, de séduction, d’attraction, et étant donné le rythme frénétique de la chanson, les brefs jets de guitare, les choeurs pleins d’excitation de la chanteuse écossaise Sheena Easton, je me doutais bien que c’était assez torride. Mais je ne savais pas que c’était à ce point ! C’est peu dire qu’ici Prince ne prend pas de gants pour exprimer son désir, par exemple quand il décrit la réaction que suscite en lui le corps de la femme qu’il drague (« Your body’s heck-a-slammin’ » ), ou quand il parle carrément de fourrer, d’enfoncer ou de pilonner (« Let’s get 2 rammin’ » ).
Mais mon petit cœur romantique s’attarde plutôt sur une autre phrase, un peu plus fleur bleue, et par laquelle j’ai envie de finir cette chronique :
« Boy versus girl in the world series of love »

