« La plus grande chanson d’amour de ces 50 dernières années » : cet avis n’émane pas de n’importe qui, mais de celui qui est peut-être lui-même le plus grand crooner de l’histoire, Frank Sinatra himself.
« Something » est l’un des joyaux de l’avant-dernier album des Beatles, « Abbey road ». Il fait partie des peu nombreuses, mais presque toutes fantastiques chansons composées par George Harrison, en l’occurrence durant les sessions de l’album blanc en 1968. À ce moment-là, d’ailleurs, il ne la destinait pas forcément au Fab four (il l’a proposée à Joe Cocker, qui en a interprété une version lente et mollassonne, avec des choeurs dégoulinants), car il en avait assez d’être négligé par le duo infernal Lennon / McCartney. Heureusement, les Beatles ont finalement enregistré « Something » pour « Abbey road », et bien leur en a pris : cette chanson est devenue leur tube le plus rejoué après « Yesterday » – on relève notamment des reprises de Shirley Bassey, Elvis Presley, Frank Sinatra, Ray Charles, James Brown (pas précisément des baltringues…).
Dans « Something », George Harrison parle de Pattie Boyd, qui était alors sa femme et qui apparaît à ses côtés dans la vidéo. Il le fait avec des mots simples et énamourés, dans les couplets (« Something in the way she moves / attracts me like no other lover / Something in the way she woos me » – ici on peut traduire « to woo » par séduire, charmer, faire craquer), et dans le court refrain qui accélère soudain comme un coeur affolé par l’amour (« I don’t want to leave her now » ).
Rien de tourneboulant dans tout cela, pourraient dire les dédaigneux, c’est du réchauffé, du déjà entendu mille fois. Le producteur George Martin trouvait d’ailleurs le morceau un peu simplet…
De fait, la splendeur de « Something » réside surtout dans sa musique. La chanson démarre par quelques roulements de caisse claire et par des notes d’une guitare angélique, et c’est parti pour trois minutes et sept secondes de pur bonheur, sur un rythme tranquille de 66 pulsations par minute, comme un coeur amoureux et heureux en amour. La mélodie, simple et parfaite, est magnifiée par des arrangements subtils, avec des cordes amples dans le pont, un solo de guitare inspiré et une partie de basse très fournie, très présente, qui développe sa propre ligne mélodique. Paul McCartney a expliqué qu’il voulait juste « servir au mieux cette chanson » , mais pour sa part George Harrison trouvait cette ligne de basse nettement trop chargée, comme si McCartney voulait tirer la couverture à lui…
Deux mois seulement après l’annonce de la séparation des Beatles, Harrison sortira son premier vrai album, « All things must pass » – c’est même un triple album, preuve qu’il avait des choses à dire et que cela faisait un bail qu’il songeait à s’engager dans une carrière solo. D’autres chefs d’oeuvre y figurent, mais à mon avis il n’y en pas un seul du calibre de cette merveille qu’est « Something ».
« You’re asking me will my love grow ?
I don’t know, I don’t know »
