Le Circularity Gap Report, qui est sorti en milieu d’année, nous apprend que cette année l’économie mondiale a utilisé 106 milliards de tonnes de matériaux, et que là dessus il n’y a que 6,5 milliards qui provenaient de sources recyclées.
Pire encore, l’évolution ces dernières années du « taux de circularité mondial » est négative : il a chuté de 9,1% en 2015 à 6,9 % en 2025 !
Le constat qui se cache derrière ces chiffres est brutal : non seulement l’économie mondiale est très peu circulaire, mais elle l’est de moins en moins.
Comment l’expliquer, alors que la quantité de matières recyclées utilisée par l’économie mondiale augmente un peu (de quelques centaines de millions de tonnes) ? Tout simplement parce que dans le même temps, la quantité de ressources primaires qu’elle consomme (énergies fossiles, métaux divers et varié, sable, bois…) augmente bien plus rapidement. Qui plus est, ces matières premières sont de plus en plus diversifiées, de plus en plus complexes et sont de plus en plus utilisées ensemble, dans des alliages de plus en plus difficiles et coûteux à recycler.
Par ailleurs, il ne faut pas s’égosiller sur la « bonne nouvelle » que représente la légère hausse du recyclage :
– D’abord, les activités de recyclage sont très coûteuses en énergie notamment fossile (il en faut des rotations de camions pour collecter les matières à recycler, les transporter jusqu’à des usines, trier les déchets, démanteler les objets, etc.)
– Ensuite, le recyclage est une activité très « sale » sur le plan social et sanitaire. Pour améliorer le taux de recyclage, il faut que ce soit en partie mis en œuvre manuellement… ce qui signifie qu’il faut exposer des ouvriers et des ouvrières souvent très jeunes à des produits très toxiques et à des métaux lourds. C’est pour cela que les pays occidentaux envoient leurs déchets (notamment leurs déchets électroniques) se faire recycler dans les pays du Tiers-monde (oh pardon, maintenant on appelle ça les « pays émergents »), surtout les déchets électroniques qui sont bourrés de métaux lourds. Bref, le recyclage, ce n’est pas totalement écolo, et ce n’est pas du tout responsable socialement…
– Enfin le recyclage consiste très souvent à faire ce que les ingénieurs appellent du « downcycling », c’est-à-dire qu’on utilise des matériaux assez ou très rares, complexes à extraire et à produire, coûteux, etc., pour fabriquer des trucs à faible valeur ajoutée. Par exemple, des métaux rares et chers mais plus ou moins impossibles à recycler vont finir mélangés à de la ferraille et à du minerai de fer tout neuf dans des portières de voiture, ou bien des granulats vont finir recyclés en sous-couches routières.
Alors bien sûr, comme toujours, il y a et il y aura des gens pour nous dire qu’il faut voir le bon côté des choses, qu’il faut se focaliser sur ce qui progresse, sur les solutions, sur les informations et les perspectives qui sont ou même qui semblent encourageantes. Mais ici comme ailleurs, malheureusement, je vois mal où elles se trouvent – ou alors elles cachent des nouvelles bien plus mauvaises et préoccupantes. Un peu comme, en matière de climat, on nous dit que le « découplage » a déjà commencé dans certains pays, oui certes, mais enfin les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter, hein.
Comme le résume mon ami Cyrus, qui vient de publier un post sur le sujet et que je remercie, les auteurs du Circularity Gap Report expliquent eux-mêmes que « même si l’on recyclait tous les matériaux recyclables, la circularité mondiale pourrait théoriquement passer à 25% sans réduire la consommation totale. Non seulement cela reste très loin de 100% (c’est normal, beaucoup de matières premières comme les énergies fossiles ne sont pas du tout recyclables). Mais en plus, il est extrêmement difficile d’atteindre 25%, car certains matériaux sont coûteux ou techniquement complexes à recycler« .
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En lisant ce post de Cyrus, j’ai repensé à un article de Dominique Bourg et Christian Arnsperger que je cite chaque année dans mon cours d’Écologie politique (« Vers une économie authentiquement circulaire », in Revue de l’OFCE, 2016). Dans ce texte, Bourg et Arnsperger citent notamment une étude de l’ingénieur François Grosse consacrée à la notion d’économie circulaire, dans laquelle cet auteur prend l’exemple de l’acier, qui est à l’heure actuelle le matériau le plus recyclé au monde (avec un taux de recyclage de 62%). Tout au long du XXème siècle, la consommation d’acier a augmenté de 3,5% par an. Si cette hausse continue au même rythme, même le fait de recycler 62% d’acier ne permettra de retarder que de 12 ans la date à laquelle le minerai de fer (le principal composant de l’acier) sera épuisé si on n’en recyclait pas pas du tout. Plus impressionnant : si jamais on arrive à recycler non plus 62%, mais 90% de l’acier, tout en continuant à consommer chaque année 3,5% d’acier en plus au niveau mondial, ce niveau de recyclage presque parfait ne fera gagner que 8 années supplémentaires (20 ans au lieu de 12) !
La conclusion est évidente : si on ne veut pas épuiser les gisements en fer, la seule solution est que l’Humanité consomme chaque année beaucoup moins d’acier que l’année précédente, et ce pendant de très nombreuses années. [évidemment, cette obligation est beaucoup plus forte pour tous les matériaux qui se recyclent moins facilement que l’acier, en particulier pour les métaux rares].
Il faut être clair : dans une économie en croissance, « l’efficacité réelle du recyclage » est « minime, pour ne pas dire infime » (Bourg & Arnsperger). Il permet seulement de gagner un tout petit peu de temps. Même en améliorant de façon faramineuse le niveau de recyclage des métaux (mais pour ça il faudrait des technologies de pointe, qui elles-mêmes nécessiteraient beaucoup de métaux, et puis il faudrait dépenser beaucoup plus d’énergie), si on continue à en consommer autant, les gisements vont s’épuiser très vite, et donc dans quelques décennies, l’Humanité sera obligée de rationner très strictement la consommation de ces métaux, ou carrément de s’en passer.
>> >> Avant de recycler plus et mieux, il faut déjà penser à beaucoup moins gaspiller, à beaucoup moins produire, vendre et consommer, car c’est surtout cela qui permettra de moins extraire.
[Soit dit en passant, on voit à quel point est malade la frénésie avec laquelle les multinationales, les États et les élus nous poussent à faire all-in sur l’IA, c’est-à-dire sur une technologie qui ne peut PAS se passer de métaux et notamment de métaux dits « rares »).
Il en va de l’exploitation des ressources naturelles comme du reste : il n’y a pas d’autre alternative que la décroissance à fond les ballons et la fin de la société industrielle, car celle-ci est intrinsèquement foireuse. Que ce soit de manière volontaire, planifié et concertée, ou que ce soit de manière contrainte et forcée (donc brutale et socialement injuste), parce qu’on ne peut pas traverser le mur de la réalité, la société industrielle va disparaître bientôt. Le plus tôt sera le mieux.

